L’Occident et le reste du monde dans l’ordre économique international (1)

 

L’ordre économique international a évolué au cours des presque 60 dernières années et continuera à changer sans l’ombre d’un doute, comme l’explique l’économiste renommé, Angus Maddison. Cet article est un extrait adapté du chapitre « L’Occident et le reste du monde dans l’ordre économique international ». Ce chapitre, écrit par Angus Maddison, est tiré de la publication Retour sur le développement, Centre de Développement, OCDE, 2002.

En 1962, les économistes ont pour habitude de diviser le monde en trois régions : les pays capitalistes avancés, qui appartiennent au « monde développé » ; le « bloc sino-soviétique » ; et les « pays en voie de développement », qui forment le « tiers monde ». Le schisme Chine-URSS se produit au début des années 1960. Vers 1990, la plupart des régimes communistes s’effondrent, et l’hostilité de la guerre froide appartient largement au passé. L’écart de revenu entre les anciens pays communistes et les pays capitalistes avancés s’est alors nettement creusé, ce qui rend obsolète une division tripartite du monde.

À des fins de comparaisons grossières, il est commode aujourd’hui de diviser le monde en deux et de mesurer l’évolution du groupe capitaliste avancé par rapport à celle des pays à revenu inférieur, désignés respectivement par « l’Occident » et le « Reste (du monde) » dans les tableaux. En moyenne, le revenu par habitant de l’Occident est multiplié par quatre entre 1950 et 2001 – ce qui correspond à un rythme de croissance de 2,8 % par an. Dans le reste du monde, le revenu par habitant triple, soit un taux de croissance de 2,2 % par an. Dans les deux cas, c’est beaucoup mieux que les performances antérieures : entre 1820 et 1950 en effet, le revenu avait progressé de 1,3 % par an en Occident et de 0,6 % dans le reste du monde. Même si l’écart de revenu continue de croître, c’est dans le reste du monde que l’accélération est la plus forte.

En Occident, la population augmente de moitié entre 1950 et 2001 (0,8 % par an), soit à peu près au même rythme qu’entre 1820 et 1950. Dans le reste du monde, la situation est très différente : la population progresse de 2 % par an, contre 0,6 % au cours de la période précédente. Cette accélération traduit une nette amélioration du bien-être, avec un recul de la mortalité et une espérance de vie qui passe de 44 ans en 1950 à 65 en 2001, soit une évolution bien plus rapide qu’en Occident. Au cours des 20 dernières années, les taux de natalité ont dégringolé ; l’Occident avait connu cette transition démographique plus tôt.

L’Occident constitue aujourd’hui un groupe de pays relativement homogène en termes de niveaux de vie, de croissance, d’institutions économiques et de mode de gouvernance. On observe également au cours des 50 dernières années une convergence significative dans la plupart de ces domaines. Il n’en va pas de même dans le reste du monde. Ce groupe réunit plus de 180 pays ; presque tous ont nettement accru leur niveau de revenu depuis 1950, mais avec un succès très variable. Ainsi, la plupart des pays d’Asie affichent une croissance rapide de leur revenu par habitant, tandis que la plupart des pays d’Afrique stagnent et qu’en Amérique latine dans les années 1980 et 1990, la plupart ont beaucoup de mal à se maintenir sur une trajectoire ascendante. C’est en Afrique que la croissance démographique est la plus rapide, suivie de l’Amérique latine et de l’Asie. Inversement, l’espérance de vie et le niveau d’éducation sont les plus faibles en Afrique, plus favorables en Amérique latine et encore meilleurs en Asie.

Entre 1950 et 2001, le revenu par habitant des pays asiatiques est multiplié par cinq, permettant ainsi de réduire le fossé avec les pays occidentaux. Les autres régions ne connaissent pas cette convergence : en Amérique latine, le revenu fait plus que doubler ; il est multiplié par moins de deux dans les anciennes économies à planification centralisée d’Europe de l’Est et de l’URSS, et affiche une progression des deux tiers environ en Afrique.

Cette divergence est encore plus marquée sur la période 1990-2001 : les pays occidentaux relèvent leur revenu d’un cinquième, les pays d’Asie de moitié, l’Amérique latine d’un sixième, l’Afrique stagne tandis que dans les anciens pays communistes, le revenu recule d’un quart.

La politique mise en œuvre aux États- Unis depuis 1973 parvient beaucoup mieux que celle adoptée en Europe de l’Ouest et au Japon à catalyser la croissance. Aux États-Unis, le chômage est aujourd’hui proportionnellement deux fois moins élevé qu’en Europe occidentale, tandis qu’en 1950-1973, il s’établissait globalement au double du taux européen. L’activité s’accroît et la proportion des actifs passe de 41 % de la population en 1973 à 49 % en 1998, contre une progression moyenne de 42 % à 44 % en Europe. En revanche, le recul en pourcentage du nombre d’heures de travail par personne ne représente que la moitié de celui observé en Europe occidentale. Ces niveaux d’activité élevés sont obtenus avec un taux d’inflation généralement plus modeste que celui du Vieux continent.

Aux États-Unis, les décideurs ont moins de scrupules que leurs homologues européens à opérer à des niveaux de demande élevés. Disposant de la première monnaie de réserve de la planète et habitués depuis longtemps à la liberté de circulation des capitaux à l’échelon international, ils considèrent en général les fluctuations des taux de change avec une indifférence bienveillante. L’administration Reagan allège considérablement la fiscalité et déréglemente à tout va, espérant ainsi provoquer une réaction positive de l’offre, de nature à contrebalancer les conséquences potentiellement inflationnistes. Les États- Unis disposent de marchés du travail bien plus flexibles. Leur marché financier est nettement mieux équipé pour procurer du capital-risque aux entreprises innovantes. Leur économie est aussi vaste que celle de l’ensemble de l’Europe occidentale, mais beaucoup plus intégrée. Dans les années 1990, l’expansion boursière alimente la vigueur de la demande.

Les États-Unis sont l’un des grands gagnants de la mondialisation des marchés financiers internationaux. Entre l’après-guerre et 1988, les actifs américains à l’étranger ont toujours été supérieurs aux dettes. Par la suite cependant, la balance est passée d’environ zéro à moins.

US$ 1.500 milliards (plus de 20 % du PIB). Ainsi, le reste du monde a contribué à entretenir la phase prolongée d’expansion aux États-Unis et à financer le vaste déficit de la balance des paiements du pays.

Perspectives

Les projections démographiques sont celles de la Division de la population des Nations unies. Elles indiquent un recul permanent du taux de croissance démographique sur la quasi-totalité de la planète. Néanmoins, une différence frappante persiste entre les pays capitalistes avancés et l’Afrique. Avec un taux de 0,33 % par an, il faudrait 210 ans pour doubler la population des premiers, alors que 32 ans suffiraient pour y parvenir en Afrique.

Pour réaliser les projections du PIB par habitant, on a supposé un maintien des rythmes de la période 1990-2001 en Europe occidentale et au Japon, ainsi qu’un léger ralentissement aux États-Unis, où la bulle des technologies de l’information des années 1990 a éclaté et où les entrées de capitaux qui finançaient le déficit commercial devraient considérablement se tasser. La croissance agrégée par habitant en « Occident » ne devrait pas s’essouffler de manière très significative mais, associée au ralentissement démographique, elle devrait porter la croissance du PIB cumulé à environ 2 % par an. Ce rythme serait alors analogue à celui enregistré pour la période 1913-1950. La dynamique de croissance transmise par l’« Occident » devrait être plus modeste qu’en 1870-1913 et qu’en 1973-2001.

L’Asie (hors Japon)

L’Asie (hors Japon) constitue la région la plus dynamique de l’économie mondiale depuis le début des années 1970. Les pays asiatiques enregistrent une croissance plus rapide que celle de l’Occident, et l’alimentent en grande partie par leurs propres politiques. Ils pèsent beaucoup plus lourd dans l’économie mondiale que n’importe quelle autre région non occidentale.

Ces économies sont en train de rattraper l’Occident et en sont toujours à un stade de développement dans lequel les « opportunités de retard » ne sont pas près de se dissiper. Grâce à la conjugaison de taux d’investissement élevés et d’une croissance rapide du PIB, leur stock de capital physique progresse plus vite que partout ailleurs. Les économies d’Asie de l’Est se caractérisent aussi par un fort taux d’activité, qui s’explique par la baisse de la fécondité et l’augmentation de la part de la population en âge de travailler, mais aussi par la mobilisation de la main-d’œuvre traditionnellement élevée dans les économies dépendant des espèces de riz à récoltes multiples. Dans tous les cas étudiés, ces pays affichent de nets progrès dans la qualité de l’éducation et du capital humain. Il faut également noter la croissance rapide de leurs exportations, le ratio élevé des exportations sur le PIB et leur volonté d’attirer les investissements directs étrangers afin d’assimiler la technologie étrangère. Ces caractéristiques ont contribué à la supercroissance de la Chine, de la République de Corée et du Taipei chinois, mais il existe un autre groupe de pays dont l’économie s’accélère considérablement – le cas le plus notable est celui de l’Inde, qui a le potentiel pour rejoindre le club des premiers. Cependant, pour certains autres pays, qui ne représentent qu’un sixième du total asiatique, les perspectives sont moins riantes et, selon les projections, leurs performances ne devraient guère évoluer.

L’Amérique latine

Avec environ 8 % de la production mondiale et une part légèrement supérieure de la population de la planète, l’Amérique latine constitue la deuxième région non occidentale dans le monde. Jusque dans les années 1970, les pays latino-américains mènent une politique différente de celle des pays capitalistes avancés. La plupart ne se sont jamais sérieusement astreints à la discipline de taux de change fixes de Bretton Woods. Les monnaies subissent des dévaluations à répétition, les sermons du FMI sur la droiture budgétaire et monétaire sont régulièrement ignorés, et l’inflation élevée devient endémique. La plupart de ces pays réagissent avec insouciance à l’explosion mondiale des prix, et les autorités ont l’impression de pouvoir supporter des taux d’inflation élevés : elles peuvent en effet emprunter massivement et avec des taux d’intérêt réels négatifs pour couvrir les déficits extérieurs creusés par leur politique expansionniste.

Cependant, au début des années 1980, les paramètres fondamentaux changent. À cette époque-là, les pays de l’OCDE militent activement en faveur d’une politique antiinflationniste. Le passage à une politique monétaire restrictive amorcé par la Réserve fédérale des États-Unis propulse brusquement et violemment les taux d’intérêt à la hausse. Entre 1973 et 1982, la dette extérieure est multipliée par sept et le défaut de remboursement de la dette par le Mexique, en 1982, porte une grave atteinte à la solvabilité de l’Amérique latine dans son ensemble. Les flux de prêts privés volontaires se tarissent d’un coup, ce qui impose une sévère cure d’austérité dans des pays au bord de l’hyper-inflation et de la crise budgétaire. Dans la plupart des cas, les subventions, les contrôles, le soutien massif aux entreprises publiques et un interventionnisme méticuleux introduisent des distorsions dans l’affectation des ressources. La plupart connaissent en outre des tensions sociales graves, et plusieurs sont affligés de régimes politiques douteux.

Si, dans les années 1930, la plupart des pays d’Amérique latine recouraient au défaut de paiement, cette solution ne remporte plus les suffrages dans les années 1980 : le commerce mondial ne s’est pas effondré, et les prêts internationaux privés se poursuivent à grande échelle. Le FMI et la Banque mondiale disposent de nombreux mécanismes pour pallier cette situation, et ont les moyens d’exercer des pressions sur les banques occidentales pour qu’elles prêtent contre leur gré, légitimant ainsi largement les défauts de paiement.

Dans le courant des années 1980, les tentatives mises en œuvre pour résoudre ces problèmes bouleversent la politique économique. Néanmoins, la plupart des pays introduisent ces changements à contrecœur. Après les expériences hétérodoxes de l’Argentine et du Brésil, la majorité d’entre eux finit par adopter la recette néolibérale imaginée par le Chili : plus grande ouverture aux marchés internationaux, allégement de l’intervention de l’État, libéralisation des échanges, réduction des distorsions des taux de change, amélioration du solde budgétaire et mise en place de systèmes politiques plus démocratiques.

Cette transition leur vaut une décennie de recul du revenu par habitant dans les années 1980. Après 1990, la croissance économique se redresse nettement, mais ce processus est interrompu par des accès contagieux de fuite des capitaux.

Dans les projections concernant l’Amérique latine on est parti de l’hypothèse d’une légère embellie du revenu par habitant en 2001-2015.

Lisez la deuxième partie de cet article

 
 

yogaesoteric
11 décembre 2018

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