L’Occident et le reste du monde dans l’ordre économique international (2)
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L’Afrique
L’Afrique rassemble près de 13 % de la population de la planète, mais ne représente que 3 % du PIB mondial. C’est la région la plus pauvre du monde, mais sa croissance démographique est sept fois plus rapide que celle de l’Europe occidentale. En 2001, le revenu par habitant de ce continent est inférieur à son point culminant de 1980. Les économies africaines sont plus volatiles que la plupart des autres, car les recettes d’exportation sont concentrées sur quelques produits de base, et les conditions climatiques extrêmes (sécheresses et inondations) sont plus violentes et produisent davantage d’impact.
En raison du rythme rapide de la croissance démographique, un peu plus de la moitié seulement sont en âge de travailler et près de 50 % des adultes sont analphabètes. L’Afrique se caractérise par une forte incidence de maladies infectieuses et parasitaires (paludisme, maladie du sommeil, ankylostomiase, cécité des rivières, fièvre jaune). Plus des deux tiers des personnes contaminées par le virus du sida vivent sur ce continent. La quantité et la qualité du facteur travail par habitant y sont donc nettement inférieures à celles de toutes les autres régions du monde.
Les puissances européennes se sont mises à convoiter l’Afrique dans les années 1880. Vingt-deux pays sont issus de la colonisation française, 21 de la colonisation britannique, cinq de la colonisation portugaise, trois de la colonisation belge et deux de la colonisation espagnole. L’Allemagne a perdu ses colonies après la Première Guerre mondiale ; l’Italie, après la Seconde. Les puissances coloniales tracent les frontières selon leurs propres intérêts, sans se soucier des traditions locales ni des appartenances ethniques. Elles introduisent le droit européen et un régime foncier en ignorant totalement les formes traditionnelles de répartition des terres. Les colons européens obtiennent ainsi les meilleures terres et tirent le plus grand bénéfice des exploitations minières et des plantations. Le travail forcé ou l’apartheid ont comprimé le revenu des Africains. En outre, peu d’efforts sont déployés pour mettre en place des infrastructures de transport ou d’éducation.
La colonisation a pris fin entre 1956 et 1974. En Afrique du Sud, la majorité de la population est privée de ses droits politiques jusqu’en 1994. L’indépendance apporte son lot de problèmes. Les dirigeants politiques doivent créer des éléments de solidarité nationale et de stabilité à partir de presque rien. Les nouvelles entités nationales sont dans la plupart des cas constituées par les régimes coloniaux. Elles se caractérisent par une grande diversité ethnique et sont dépourvues de traditions ou d’institutions indigènes consacrant leur appartenance nationale. La langue officielle adoptée dans l’administration et l’enseignement est le plus souvent le français, l’anglais ou le portugais plutôt que les langues parlées par l’essentiel de la population. Pendant la guerre froide, l’Afrique cristallise les rivalités internationales. La Chine, l’URSS, Cuba et les pays d’Europe de l’Est prodiguent leur aide économique et militaire à de nouveaux pays qui leur servent d’intermédiaires dans un conflit d’intérêts planétaire. Les pays occidentaux, Israël et le Taipei chinois se montrent plus généreux dans l’octroi de l’aide, et moins pointilleux dans son affectation qu’ils n’auraient pu l’être dans des circonstances différentes. L’Afrique accumule ainsi une dette extérieure considérable qui n’a guère servi son développement.
L’Afrique souffre d’une grande pénurie de personnes instruites ou disposant d’une expérience administrative. Du jour au lendemain, les pays doivent mettre sur pied une élite politique, doter en personnel leur administration nationale, instaurer un système judiciaire, créer une police et des forces armées et détacher des dizaines de diplomates. La première grosse vague de recrutements renforce le rôle du clientélisme et la recherche de la rente, et ternit les attraits de l’esprit d’entreprise. Le stock existant de diplômés est trop maigre pour satisfaire la demande et ces pays doivent faire massivement appel à la main-d’œuvre étrangère.
Dans de nombreux cas, le processus de création des États ne fait pas l’économie d’un conflit armé. De nombreux pays connaissent la guerre civile et des dictateurs sanguinaires, et ces guerres entravent considérablement leur développement.
Dans de nombreux États africains, les dirigeants cherchent à s’accrocher à leurs fonctions à vie. Dans la plupart des cas, ils s’appuient sur des cercles restreints qui partagent avec eux les avantages du pouvoir. La corruption devient endémique, les droits de propriété sont menacés, et les décisions commerciales ne sont pas dépourvues de risque.
La dette extérieure explique en grande partie le fort ralentissement enregistré depuis 1980. Avec la perte d’intensité de la guerre froide, à compter du milieu des années 1980, l’aide étrangère se tasse, et les prêts nets consentis à l’Afrique reculent. En outre, la progression des investissements directs étrangers ne suffit pas à contrebalancer ce tarissement des autres flux financiers.
L’Afrique est le continent auquel le développement pose le plus de difficultés, et les carences en termes de santé, d’éducation et de nutrition y sont des plus graves. C’est aussi le continent qui a le plus besoin d’aide financière et d’assistance technique. Les projections du PIB par habitant supposent un accroissement de ces formes d’aide et une progression positive du revenu par habitant. Cependant, il est peu probable que d’ici 2015, les pays d’Afrique puissent s’inscrire sur une trajectoire leur permettant un rattrapage rapide, à l’instar de celui opéré par les économies d’Asie.
L’Europe de l’Est
Entre 1948 et la fin des années 1980, le système économique de l’Europe de l’Est est analogue à celui de l’URSS ; il en va de même pour les performances économiques. Sur la période 1950-1973, la croissance du PIB par habitant y suit plus ou moins le rythme de celle de l’Europe occidentale, mais elle décroche nettement lorsque le système économique et politique commence à s’effriter. À partir de 1973-1990, l’économie de ces pays progresse de 0,5 % par an, contre 1,9 % en Europe occidentale.
Le passage d’une économie à planification centralisée à une économie de marché est difficile pour tous les pays. Le plus facile a été de libérer les prix et d’ouvrir le secteur des échanges commerciaux avec l’Occident. Ces mesures mettent fin aux pénuries et aux files d’attente, améliorent la qualité des biens et des services ainsi que le bien-être des consommateurs. Néanmoins, une grande partie de l’ancien stock de capital se déprécie au point de ne plus rien valoir ; la main d’œuvre a besoin d’acquérir des compétences et des habitudes de travail nouvelles ; le système judiciaire et administratif, ainsi que la structure fiscale et la protection sociale, doivent être refondus et le secteur bancaire et de la distribution, intégralement reconstruits. Les efforts de transition se traduisent dans l’ensemble par un recul du PIB moyen par habitant entre 1990 et 1993, mais ce dernier augmente ensuite de plus de 3 % par an sur la période 1993-2001. Les projections supposent que ce rythme va se maintenir au moins jusqu’en 2015. De fait, il est probable que ces pays pourront faire mieux s’ils peuvent être intégrés à l’Union européenne et disposer d’un accès plus facile à ses marchés des biens, du travail et du capital ainsi qu’à ses subventions, régionales et autres. Le revenu réel représente à peine un tiers de celui de l’Europe occidentale. Les salaires y sont également nettement inférieurs, mais les disparités de qualifications sont bien moindres. Si l’intégration a lieu, les économies de l’Est seront donc capables de faire preuve d’une dynamique de rattrapage égale à celle de l’Asie.
Les États issus de l’ancienne URSS
Quinze États sont nés sur les ruines de l’Union soviétique en 1991. Chacun d’entre eux avait déjà enregistré une décélération très marquée de sa croissance économique sur la période 1973-1990 : l’affectation des ressources souffre d’une inefficacité phénoménale, les dépenses militaires et connexes constituent un lourd fardeau, et les ressources naturelles s’amenuisent ou sont détruites.
Les ratios capital/production sont supérieurs à ceux des pays capitalistes. Les matériaux sont gaspillés car ils sont vendus en dessous de leur coût réel. Les pénuries confortent une tendance chronique à accumuler des stocks. Le ratio consommation d’acier/PIB est quatre fois supérieur à celui des États-Unis. L’entreprise industrielle moyenne compte 814 salariés en 1987, contre 30 en Allemagne et au Royaume-Uni. Les transferts de technologies depuis l’Occident se heurtent aux restrictions aux échanges, à l’absence d’investissements directs étrangers et à un accès très limité aux techniciens et chercheurs étrangers. Les salariés ne sont pas incités à travailler et l’absentéisme non justifié est fréquent.
Les biens de consommation courante sont de qualité médiocre et la distribution comme le secteur des services très peu développés. Les prix n’ont pas grand-chose à voir avec les coûts. Pour obtenir la marchandise ou le service dont ils ont besoin, les consommateurs doivent passer des heures dans les files d’attente, faire du troc, voire verser des pots-de-vin. Le marché noir est très actif, et la nomenklatura peut se servir dans des magasins qui lui sont exclusivement réservés. Cette situation aggrave le cynisme, le sentiment de frustration et l’alcoolisme, et se traduit par un recul de l’espérance de vie.
Dans les années 1970 et 1980, l’Union soviétique consacre environ 15 % de son PIB à la défense et à l’espace, soit près de trois fois le ratio observé aux États-Unis, et cinq fois celui de l’Europe occidentale. Elle apporte un soutien significatif à l’Afghanistan, à la Corée du Nord, à Cuba, à la Mongolie, au Vietnam et aux pays d’Afrique clients.
Dans les années 1950, l’agriculture s’étend en grande partie vers des régions aux sols vierges, dont la fertilité s’épuise rapidement. La mer d’Aral se transforme pour l’essentiel en désert salé. L’exploitation des ressources minières et énergétiques de la Sibérie et de l’Asie centrale nécessite des dépenses d’infrastructure nettement plus élevées que celles engagées dans la partie européenne de la Russie. L’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl provoque une pollution catastrophique sur une large superficie de l’Ukraine.
Sur la période 1985-1991, Mikhail Gorbatchev instaure un degré de liberté politique remarquable et libère l’Europe de l’Est, mais il ne met pas en œuvre de politique économique cohérente. Entre 1991 et la fin 1999, Boris Eltsine démantèle l’Union soviétique, détruit son système économique et politique et s’oriente vers l’économie « de marché ». Le revenu réel de l’essentiel de la population est alors aspiré dans une spirale descendante. En 2002, le PIB des 15 anciennes républiques recule en moyenne de 30 % par rapport à son niveau de 1990. Les immobilisations et les dépenses militaires chutent aussi considérablement, et le repli de la consommation privée est plus modéré. La répartition des revenus est bouleversée. Dans l’ancien système, les produits et services de première nécessité (pain, logement, éducation, santé, crèches et services sociaux) étaient massivement subventionnés par l’État ou procurés gratuitement par les entreprises d’État à leurs salariés. Tous ces biens et services deviennent plus chers, l’hyper-inflation grignote la valeur des retraites et des salaires réels et l’épargne populaire est réduite à néant. En revanche, une nouvelle oligarchie voit ses revenus s’étoffer confortablement.
La nouvelle économie « de marché » est largement inefficace et injuste dans l’affectation des ressources. Une législation est votée afin de mettre en place des droits de propriété à l’occidentale mais, en pratique, la comptabilité reste opaque et les autorités interprètent ces droits de manière arbitraire. De nombreuses entreprises subissent les pressions d’organisations criminelles. Les propriétaires des actifs, tels que les actionnaires ou les investisseurs, ne sont pas certains que leurs droits seront honorés, et les travailleurs ne peuvent pas compter sur le versement de leur salaire.
yogaesoteric
décembre 2018