Torture et humiliations : le calvaire des Palestiniennes détenues dans les prisons israéliennes
BETHLÉEM, Cisjordanie – « Je me souviens qu’il a rapproché sa chaise, qu’il a écarté les jambes et qu’il s’est assis très près de moi. C’était quelque chose d’horrible pour moi. J’avais l’impression qu’il essayait de s’en prendre à mon corps. », a déclaré Khawla al-Azraq en se remémorant les tactiques d’intimidation physique et les méthodes de harcèlement sexuel employées par des interrogateurs israéliens alors qu’elle n’était qu’une adolescente.
Des prisonniers font signe depuis leur cellule dans la prison de haute sécurité de HaSharon, à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Tel Aviv, le 23 février 2014
Khawla al-Azraq est membre du Conseil révolutionnaire du Fatah. Quelques décennies plus tard, aujourd’hui âgée de 54 ans, frémit encore au souvenir des interrogateurs israéliens qui frottaient leurs mains contre ses jambes pour l’intimider sexuellement. « Ils s’asseyaient de manière à être très proches de nous, à toucher notre corps. Je me souviens que c’était terrible pour moi à cet âge », a-t-elle raconté. Al-Azraq est membre du Conseil révolutionnaire du Fatah. Depuis l’âge de 14 ans, elle a été arrêtée par les forces israéliennes à quatre reprises en raison de ses liens avec le Fatah et de sa participation à des protestations contre l’occupation israélienne. À l’âge de seulement 18 ans, elle a été condamnée à trois ans de prison.
« La torture, la maltraitance et les traitements dégradants commencent dès les premiers instants de l’arrestation », a déclaré Sahar Francis, directrice d’Addameer, un groupe palestinien de défense des droits des prisonniers. Elle a ajouté que les femmes portant le hijab se disputaient souvent avec les soldats pour qu’ils les autorisent à mettre leur foulard avant d’être emmenées de chez elles. Les périodes d’interrogatoire sont largement décrites comme la partie la plus violente du processus de détention : les femmes sont non seulement victimes de torture physique et psychologique – attachées dans des positions inconfortables, privées de sommeil, passés à tabac… –, mais aussi de méthodes qui les visent spécifiquement en raison de leur sexe.
« L’interrogateur leur crie au visage, essaie de les intimider avec des paroles et des insultes à connotation sexuelle ou commence à les taquiner si elles sont mariées, leur demandant ce que leur mari fait pendant qu’elles sont emprisonnées », a expliqué Sahar Francis à Middle East Eye. Alors que les forces israéliennes ont pour ordre de procéder aux interrogatoires de femmes en présence d’une officière, d’anciennes prisonnières ont déclaré que ces officières ne contribuaient guère à assurer leur sécurité et servaient même souvent à couvrir les abus verbaux et physiques qui ont lieu pendant les interrogatoires.
« Parfois, les interrogateurs emploient des propos à connotation sexuelle, et ils se servent d’elle [de l’officière] pour dire que nous mentons quand nous affirmons qu’ils nous battent », a expliqué Shireen Issawi, une avocate qui a passé cinq ans en prison pour avoir transféré de l’argent à des prisonniers palestiniens. Issawi a été libérée en octobre 2017.
Selon les anciennes prisonnières, les longs trajets entre la prison et les tribunaux israéliens se faisaient rarement en présence d’officières. Elles passaient jusqu’à douze heures de voyage menottées à des sièges en fer à l’arrière de fourgons pénitentiaires et faisaient parfois l’objet de propos obscènes proférés par les gardes israéliens qui les transportaient. Khitam Saafin, présidente de l’Union des comités de femmes palestiniennes, a déclaré que les soldats israéliens ciblaient principalement les femmes plus jeunes et les harcelaient sexuellement au cours de ces longs trajets. « Elles sont épuisées, elles souffrent beaucoup, elles sont seules sans personnes plus âgées pour prendre soin d’elles et ce sont elles qui sont le plus souvent victimes de harcèlement sexuel », a-t-elle affirmé.
Victimes de violences
Khitam Saafin a passé trois mois en détention administrative sans être inculpée et a accusé des soldats israéliens d’avoir pris des photos d’elle, ainsi que d’avoir procédé à une fouille à nu, suite à son arrestation. Si certaines femmes palestiniennes ont affirmé avoir été violées lors de leur détention dans des prisons israéliennes, il s’agit pour beaucoup d’un sujet difficile à aborder en raison des tabous sociaux. « Ils se servent d’elle [de l’officière] pour dire que nous mentons quand nous affirmons qu’ils nous battent. » – Shireen Issawi, avocate. En outre, il n’existe pas de données faisant autorité sur la fréquence des agressions sexuelles commises contre les Palestiniens dans les prisons israéliennes. Cependant, un rapport publié en 2016 par le Comité public contre la torture en Israël (PCATI), une organisation israélienne de défense des droits de l’homme, a estimé que quelque 4% des hommes interrogés avaient subi une forme de torture à caractère sexuel. Sahar Francis a souligné que ces pratiques n’étaient pas des actes isolés commis par des membres individuels des forces armées israéliennes.
« Ce n’est pas quelque chose qui est fait par un soldat qui a décidé d’humilier ou de maltraiter [les prisonnières], a-t-elle affirmé. Cela fait partie du processus, de la politique, cela sert à affecter toute la société et à la mettre sous pression […] parce qu’ils sont conscients que [la question du sexe] est un sujet sensible au sein de la société palestinienne. »
« Cela m’a rendue plus forte »
Selon Addameer, 58 femmes sont actuellement détenues dans les prisons israéliennes. Si ce chiffre est nettement inférieur aux près de 6.000 hommes palestiniens emprisonnés, les détenues sont confrontées à des conditions d’incarcération plus difficiles dans certaines régions.
Des Jordaniennes venues rendre visite à des proches emprisonnés attendent devant la prison israélienne de HaSharon, le 25 novembre 2008
Selon Francis, les femmes subissent les mêmes restrictions que les hommes en ce qui concerne les visites familiales. Cependant, le fait que toutes les femmes soient détenues en Israël complique davantage les visites de leurs proches, qui doivent tout d’abord obtenir un permis. Selon Addameer, les détenues palestiniennes sont principalement incarcérées dans deux prisons situées en Israël, HaSharon et Damon, en violation de l’article 76 de la quatrième Convention de Genève régissant la détention des prisonniers. « Quand j’étais mère, c’était très difficile. Je ne peux pas exprimer avec des mots ce que je ressentais à l’époque. », a raconté Khawla al-Azraq au sujet des 25 jours d’interrogatoire qu’elle a vécus en 1991 pour avoir participé à des manifestations au cours de la première Intifada. À l’époque, son premier fils, Khaled, n’avait que deux ans et demi. Ce fut une période difficile pour toute sa famille, puisque son mari, Issa Qaraqe, actuellement à la tête de la Commission palestinienne des affaires des prisonniers, était également en prison. Au cours de la même période, a raconté al-Azraq, sa belle-sœur a été tuée par les forces israéliennes. « Cela m’a rendue plus forte, a-t-elle affirmé. Je n’ai rien dit parce que je voulais retrouver mon fils. » Al-Azraq a été libérée au bout de 25 jours.
Israël classe tous ses détenus palestiniens comme des « prisonniers de sécurité », qu’ils soient accusés d’avoir jeté des pierres, d’avoir publié ce qui est considéré comme de l’« incitation » à la haine sur les réseaux sociaux ou d’avoir tué un officier. Mais les Palestiniens insistent sur le fait qu’ils sont des « prisonniers politiques » détenus soit pour des accusations fabriquées de toutes pièces, soit en violation de leur droit de résister à l’occupation tel que le prévoit le droit international.
Des soins médicaux insuffisants
L’un des principaux problèmes soulevés à de nombreuses reprises par les militants concerne les soins médicaux insuffisants, en particulier suite à la campagne récente de soutien à Israa Jaabis, qui a besoin de soins médicaux urgents après avoir été brûlée sur 65% du corps et amputée de huit de ses doigts.
Israa Jaabis comparaît devant un tribunal israélien, en novembre 2016
« Le système pénitentiaire affirme offrir les services médicaux de base, mais honnêtement, nous pensons que non, car le traitement principal qu’ils proposent pour n’importe quel problème se résume à un analgésique, à moins que votre état de santé ne soit vraiment préoccupant », a déclaré Sahar Francis. Cette dernière a également soulevé des cas plus rares de femmes enceintes emprisonnées ; selon elle, au moins deux Palestiniennes ont accouché en détention dans une prison israélienne, dans des circonstances extrêmement difficiles. « C’est un processus très humiliant. Imaginez qu’ils vous attachent au lit jusqu’à ce que vous soyez sur le point d’accoucher et qu’immédiatement après l’accouchement, ils vous remenottent une main et une jambe au lit, a-t-elle souligné. Ils n’autorisent pas la présence d’un membre de la famille. Imaginez une étrangère, une policière, debout à côté de votre lit pendant que vous accouchez. »
Francis a ajouté que les enfants de moins de deux ans pouvaient accompagner leur mère en prison, mais que peu de dispositions étaient prises pour leur bien-être. Dans le même temps, les aspects plus banals de la santé des femmes deviennent également une lutte, en particulier lorsque les femmes sont dans des centres d’interrogatoire. « Lorsque j’avais mes règles, ils me donnaient juste des mouchoirs en papier », a raconté Issawi. « Ils ne prenaient pas en considération le fait que nous avons des besoins spécifiques, que notre corps n’est pas le même que celui des hommes. Je n’avais aucun droit en tant que femme. » En raison des soins médicaux insuffisants, les femmes devaient intervenir pour prendre soin de leurs codétenues malades ou handicapées, alors même que la plupart n’avaient pas d’expérience en soins infirmiers. « Nous prenions le rôle d’infirmières, de médecins, de travailleuses sociales », a expliqué Issawi. Le Service pénitentiaire israélien n’avait pas répondu à MEE au sujet des allégations d’agressions sexuelles, de harcèlement et de négligence médicale.
La bibliothèque des femmes
Bien qu’il y ait une limite au nombre de livres disponibles pour les Palestiniens et les Palestiniennes détenus en Israël, le nombre plus faible de femmes détenues signifie qu’elles ont moins de livres à leur disposition. Cela limite leur accès à l’éducation et au savoir.
Khitam Saafin, présidente de l’Union des comités de femmes palestiniennes, a passé trois mois en détention administrative sans être inculpée
Khitam Saafin a décrit la stupéfaction d’un représentant d’une ONG en visite à HaSharon alors qu’elle y était détenue face au nombre de livres disponibles. « La bibliothèque [du dirigeant emprisonné du Fatah] Marouane Barghouti est plus grande que la bibliothèque de ces femmes », aurait-il dit.
« Elles nous appelaient “Maman” »
Malgré les conditions d’incarcération difficiles – ou parfois en raison de celles-ci –, les prisonnières palestiniennes développent un fort sentiment de solidarité, comptant sur leur soutien mutuel. « C’était la meilleure communauté que j’ai connue, parce que nous étions toutes égales. Nous partagions tout. Rien ne nous appartenait, excepté nos sous-vêtements », a déclaré al-Azraq au sujet de son séjour en prison dans les années 1980. « On ressentait ce lien très fort, a déclaré Saafin. Si les prisonnières ne sont pas solidaires, elles ne survivent pas. » Les prisonnières plus âgées, dont beaucoup ont été détenues à plusieurs reprises depuis leur jeunesse, prennent sous leur aile les détenues plus jeunes. Selon Francis, leur nombre a augmenté depuis 2015 : actuellement, neuf filles de moins de 18 ans sont emprisonnées.
« Quand les jeunes filles arrivaient en prison, nous prenions soin d’elles, nous leur donnions des vêtements, a raconté Issawi. Parfois, elles nous appelaient “Maman”. » Saafin, enseignante de profession, ainsi que d’autres détenues adultes ont expliqué qu’elles avaient fait de leur mieux pour compléter les cours donnés par les autorités pénitentiaires, dans le cadre desquels un enseignant se présente trois fois par semaine et ne couvre que l’arabe, l’anglais et les mathématiques. Saafin a affirmé avoir été inspirée par l’attitude des filles plus jeunes, car elles persistaient à poursuivre leurs études malgré l’accès minimal à l’enseignement et le nombre restreint de livres.
« La plupart des jeunes prisonnières étaient pleines d’espoir, a-t-elle raconté. Je suis heureuse de les avoir rencontrées, car elles m’ont aussi donné de l’espoir. »
L’adolescente palestinienne Ahed Tamimi comparaît devant le tribunal militaire de la prison militaire d’Ofer, dans le village cisjordanien de Beitunia, le 1er janvier 2018
Les anciennes prisonnières ont exprimé leur empathie pour Ahed Tamimi, qui, le 31 janvier, a passé son dix-septième anniversaire en détention dans une prison israélienne. « Je me suis reconnue dans le cas d’Ahed Tamimi », a confié Shireen Issawi, dont la famille est depuis longtemps la cible des forces israéliennes. « C’était mon enfance. » « En tant que mère, je sais parfaitement à quel point c’est difficile pour des jeunes filles comme Ahed, a déclaré al-Azraq. Je sais que ce sera dur pour elles et que cela les affectera toute leur vie. »
La vie après la prison
Les effets de l’emprisonnement persistent longtemps après la libération de ces femmes. Plusieurs décennies plus tard, al-Azraq a affirmé qu’elle perdait son souffle dans les espaces clos et qu’elle souffrait de claustrophobie, même sous la douche. Issawi a indiqué qu’elle souffrait toujours de maux de dos et de bras après avoir été menottée à une chaise de fer durant une période d’interrogatoire d’un mois. Au-delà de ses problèmes de santé, depuis sa libération, elle ne peut reprendre son travail d’avocate en raison d’efforts déployés pour la radier en raison de sa condamnation antérieure.
Sahar Francis estime que le principal problème pour les anciennes prisonnières concerne le manque de soutien psychologique. « Cela est lié à notre perception des prisonniers en tant que héros. Nous les mettons dans un espace où nous, la société, ne leur permettons pas de se sentir faibles et de ressentir qu’ils ont besoin de ce soutien. »
Khawla al-Azraq a expliqué que certaines femmes qu’elle connaît, qui avaient été violées lors de leur détention par Israël au début des années 1970, avaient encore du mal à parler de leur expérience. « Parfois, elles ont honte, même si nous savons qu’ils sont nos ennemis et qu’ils font cela pour nous briser », a-t-elle déclaré, d’une voix tremblante.
Al-Azraq a exprimé sa fierté quant au nombre limité mais persistant de femmes palestiniennes qui, malgré les risques, ont endossé un rôle actif dans le conflit israélo-palestinien. « Elles pensent qu’elles ont le même rôle que les hommes et qu’elles peuvent faire les choses de la même manière ou mieux que les hommes. Elles combattent l’occupation et c’est leur droit. »
yogaesoteric
29 mai 2018