L’amalgame dentaire, dispositif médical toxique reconnu, à quand sa disparition ?


L’amalgame est un matériau d’obturation dentaire, dont l’invention remonte au XIXe siècle. Communément appelé « plombage », il est en fait composé d’une poudre de métaux (argent, étain, cuivre, etc.) que l’on mélange à du mercure liquide (42% à 50%). Après avoir soigné une carie, le dentiste remplit la cavité qui a été creusée avec cette pâte, qui durcit rapidement.

Problème : le mercure est connu depuis l’antiquité comme un poison redoutable. L’OMS le range aujourd’hui parmi les dix substances les plus dangereuses du monde [1]. C’est un toxique ubiquiste (il peut se fixer partout dans l’organisme) et polyvalent (il perturbe le fonctionnement des êtres vivants de très nombreuses façons, puisqu’il s’agit d’un neurotoxique, d’un immunotoxique, d’un reprotoxique, d’un perturbateur endocrinien, d’un néphrotoxique…) [2].

Il en résulte que l’intoxication au mercure peut être associée à des troubles très divers et « non spécifiques » (douleurs, fatigue, troubles cognitifs, instabilité émotionnelle, troubles digestifs, problèmes de fertilité…), ce qui rend le diagnostic extrêmement compliqué [3]. Par ailleurs, les publications scientifiques suggèrent de plus en plus clairement que l’exposition au mercure jouerait un rôle dans l’autisme [4] en cas d’exposition in utero et, pour les expositions au long cours, dans les maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer [5], sclérose en plaques [6], sclérose latérale amyotrophique [7] ou encore maladie de Parkinson). Cette exposition semble également favoriser les hypersensibilités chimiques et électromagnétiques, ainsi que le syndrome de fatigue chronique [8].

Insistons sur le fait que les patients ne sont pas seuls concernés : les dentistes et surtout les assistantes dentaires sont en première ligne [9]. En Norvège, en 2012, une assistante dentaire a remporté un procès contre l’État : le tribunal a reconnu que les maux dont elle souffrait étaient bel et bien imputables à son exposition professionnelle aux vapeurs de mercure – une décision confirmée en appel en 2014 [10]. De fait, si le droit du travail s’appliquait correctement dans les cabinets dentaires, l’amalgame dentaire y serait depuis longtemps proscrit.

Pourtant, il aura fallu toute la pugnacité des associations – Non Au Mercure Dentaire en tête depuis près de vingt ans – pour qu’émerge cette problématique, que les autorités sanitaires et les instances dentaires ont tout fait pour recouvrir d’un voile pudique :

– d’abord en prétendant que le mercure serait captif de l’amalgame et ne pourrait donc pas contaminer le patient (alors que l’utilisation d’un instrument de mesure, l’appareil Jerome, suffit à prouver le contraire en quelques secondes) ;
– puis en minimisant de manière éhontée les quantités de mercure relarguées par les amalgames ;
– enfin en psychiatrisant systématiquement les malades qui incriminaient le mercure dentaire.

L’omerta a été singulièrement forte en France ; aussi, en 2012, le pays consommait à lui seul le tiers du mercure dentaire de l’Europe [11]. En d’autres termes, les Français ont été les Européens les plus massivement intoxiqués – les autres pays n’ayant pas attendu la dernière heure pour se tourner vers des matériaux de substitution aussi fiables, plus esthétiques et moins nocifs, tels que les composites et les ciments verres ionomères.

Le vent a tourné quand le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) a choisi de se préoccuper sérieusement du mercure, dans les années 2000. En effet, non seulement ce métal contamine directement ceux qui y sont exposés, mais il s’accumule dans l’environnement, en particulier dans les animaux de fins de chaîne alimentaire, entraînant notamment des troubles de santé chez ceux qui se nourrissent fréquemment de gros poissons. Enfin, le mercure participe au développement de l’antibiorésistance, un phénomène toujours plus préoccupant.

Après des années de négociations, les États ont adopté en 2013 la « Convention de Minamata », qui fixe une volonté commune de réduire les émissions globales de mercure. Grâce à la persévérance et au travail de conviction de l’Alliance mondiale pour une dentisterie sans mercure (une coalition d’ONG, de dentistes et de scientifiques), les amalgames dentaires ont pu être intégrés à cette Convention [12]. Par suite, en novembre 2016, les instances européennes se sont accordées sur l’idée qu’il fallait protéger les populations identifiées comme les plus vulnérables. Ainsi, à compter du 1er juillet 2018, il deviendra interdit de poser des amalgames dentaires dans la bouche des enfants de moins de 15 ans, ainsi que chez les femmes enceintes et allaitantes [13]. Quant aux autres patients, chaque État membre à fixé jusqu’à juillet 2019, sa feuille de route visant à diminuer l’usage des amalgames ; sur cette base, la Commission européenne proposera une stratégie d’élimination du mercure dentaire, sur le long terme et si possible d’ici 2030.

L’Agence de sécurité sanitaire française (ANSM) affiche désormais « sa volonté de voir réduire de façon importante l’utilisation des amalgames [14] » : elle recommande ainsi de réserver ceux-ci « à des situations cliniques particulières pour lesquelles les autres techniques ne peuvent être utilisées »… Ces situations devraient être plus qu’exceptionnelles, puisque l’Agence n’a « pas identifié d’indication de restauration où l’amalgame ne pourrait être remplacé par un autre matériau [15] ». Mais en vérité, les autorités sanitaires ne semblent guère disposées à employer des dispositions contraignantes contre les professionnels de la dentisterie, dans l’hypothèse où ceux-ci résisteraient à l’objectif de réduire la consommation de mercure dentaire. On peut donc craindre raisonnablement que l’intoxication ne perdure des années encore – avec en prime le remboursement de la Sécurité sociale.

Du reste, l’interdiction ne suffira pas à tirer d’affaire les personnes qui ont été préalablement intoxiquées, et dont beaucoup se trouvent aujourd’hui en situation d’errance médicale. Même quand les patients arrivent à mettre le doigt sur l’origine de leurs maux, les traitements dont ils auraient besoin ne sont pas reconnus par nos institutions, de sorte qu’ils doivent se soigner à leurs propres frais (quand cela leur est possible), mais aussi à leurs risques et périls.

Pourtant, le CHU d’Orléans avait lancé une expérimentation qui permettait aux malades de recevoir dans un cadre sécurisé un protocole de désintoxication des métaux lourds par « chélations » (injections qui permettent de mobiliser les métaux toxiques des organes et de les évacuer par les urines). Mais les pressions institutionnelles ont été si fortes que l’hôpital a dû mettre un terme à cette offre de soins en 2015. Depuis lors, les Français sont contraints d’aller trouver des praticiens en Allemagne, Suisse, Belgique ou aux Pays Bas. Un exil médical qui devrait se poursuivre des années encore ; car malheureusement rien ne donne à croire en l’émergence d’une médecine environnementale dans la France.

Sources :

Pour une bibliographie scientifique plus étoffée : http://www.non-au-mercure-dentaire.org/les-dossiers.php

[1] http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs361/fr/
[2] Rice KM et al. Environmental mercury and its toxic effects. J Prev Med Public Health. 2014 Mar;47(2):74-83.
[3] Ye BJ et al. Evaluation of mercury exposure level, clinical diagnosis and treatment for mercury intoxication. Ann Occup Environ Med. 2016 Jan 22;28:5.
[4] Morris G et al. The Putative Role of Environmental Mercury in the Pathogenesis and Pathophysiology of Autism Spectrum Disorders and Subtypes. Mol Neurobiol. 2017 Jul 22.
[5] Sun YH et al. Association between dental amalgam fillings and Alzheimer’s disease: a population-based cross-sectional study in Taiwan. Alzheimers Res Ther. 2015 Nov 12;7(1):65.
Mutter J et al. Does inorganic mercury play a role in Alzheimer’s disease? A systematic review and an integrated molecular mechanism. J Alzheimers Dis. 2010;22(2):357-74.
[6] Bates et al. Health effects of dental amalgam exposure: a retrospective cohort study. Int J Epidemiol. 2004 Aug ; 33(4) : 894-902.
[7] Praline J et al. ALS and mercury intoxication: a relationship ? Clin Neurol Neurosurg. 2007, 109 (Suppl 10): 880-883.
[8] Voir notamment les travaux du biochimiste Martin Pall, disponibles sur le site de SOS MCS : https://www.sosmcs.org/les-pionniers/
[9] Neghab M, Choobineh A, Hassan Zadeh J, Ghaderi E. Symptoms of intoxication in dentists associated with exposure to low levels of mercury. Ind Health. 2011;49(2):249-54.
[10] http://www.world-psi.org/fr/les-victimes-du-mercure-gagnent-leur-proces-contre-letat-norvegien-devant-la-cour-supreme
[11] http://ec.europa.eu/environment/chemicals/mercury/pdf/final_report_110712.pdf, p. 50.
[12] http://www.mercuryconvention.org/Portals/11/documents/Booklets/Minamata%20Convention%20on%20Mercury_booklet_French.pdf, p. 51.
[13] http://europeecologie.eu/Mercure-l-utilisation-des-amalgames-dentaires-sera-restreinte-dans-l-UE
[14] http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/f5239a084515ff2a9400469016a2922a.pdf, p.21.
[15] Idem, p.19.

Article rédigé par l’association Non au Mercure Dentaire

L’association Non Au Mercure Dentaire (NAMD) est née en 1998 autour d’un médecin épidémiologiste, le Dr Jean-Jacques Melet, qui avait compris les dangers liés aux métaux lourds liés aux soins dentaires. Elle se donne deux missions : l’alerte sanitaire, assise sur une veille scientifique systématique, et le soutien aux victimes – en attendant l’interdiction totale des amalgames et une prise en charge adéquate des patients intoxiqués. Après des années de combat au sein de l’hexagone, NAMD fait partie des membres qui ont fondé en 2009 l’Alliance pour une dentisterie mondiale sans mercure, emportée par le magistrat américain Charlie Brown.


yogaesoteric
2 décembre 2019

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