Les réseaux sociaux, tablettes et smartphones responsables de tous les maux ?

Par Pascal Kryl

Il est de grandes modes, ces derniers temps, d’avoir à attribuer aux tablettes, smartphones et autres écrans, tous les maux du monde. Il est de bonne commodité d’y associer un autre grand démon : les réseaux sociaux.

 

Chaque média y va de son grand reportage, toujours à charge et soutenu par des personnalités plus ou moins scientifique. Comme il est si facile, ils démontrent la dangerosité du monstre et l’illustrent par un ou deux témoignages édifiants qui mettent l’audience devant l’évidence : « Voyez par vous-même, ce que l’on vous dit est vrai, ces enfants traumatisés en sont la preuve ».

C’est alors que le référent « scientifique », appuyé par le journaliste émoustillé, déballe son lot de bonnes résolutions sur le monde « si vous souhaitez sauver vos enfants de l’emprise démoniaque » : ne pas laisser les enfants seuls face à l’écran, ne pas dépasser une heure par jour et encore, préférer des activités considérées comme plus saines.

La caïnophobie veut-elle toujours tuer son frère ?

On est souvent frappé avec un brin d’ironie, par la peur de la nouveauté qui a toujours animé l’histoire des grandes inventions ou importants changements et évolution pour l’humanité. La caïnophobie, ou peur du nouveau, me fait penser à Caïn – même s’il n’y a aucun lien linguistique direct – premier meurtrier des textes sacrés. Il a tué son jeune frère Abel qui apportait à son père des offrandes à l’allure plus généreuse et plus appréciée par ce dernier. Une forme donc de jalousie maladive qui conduirait les Hommes aux pires extrêmes.

Au début du XIXe siècle, la naissance des chemins de fer est à l’origine de fortes réticences. On croit que la vitesse peut rendre aveugles ou fous. Cette sidérodromophobie, peur des chemins de fer, était appuyée par les savants de l’époque qui prédisaient que le corps humain ne pourrait résister à des vitesses de plus de trente kilomètres à heure.

L’automobile, dès ces débuts industriels, suscitent également les pires cauchemars. Bruyante et nauséabonde, elle effraie les animaux et nuit à la quiétude des villes qui veulent l’interdire, sans savoir encore qu’elles seront rapidement dessinées pour et par les voitures.

Ces réticences aux changements et aux évolutions ont toujours trouvé un écho favorable. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? dit-on, sans trop savoir d’ailleurs qui gagne vraiment et quoi, dans l’histoire concernée, si ce n’est la certitude que l’inconnu et l’effort sont toujours plus source d’angoisse, par nature, que le doux ronronnement de l’habitude. Même si cette dernière endort au point de ne pas voir venir le dernier souffle.

Le bon vieux temps où tout aller pour le pire

Les nouvelles technologies sont une révolution bien plus profonde pour l’humanité que ne le fût celle industrielle. L’intelligence artificielle et la robotique vont changer radicalement nos modes de vie, jusqu’à pouvoir prétendre à une forme d’immortalité. Nous comprenons donc sans peine, que ce monde nouveau, qui est déjà lancé à pleine vitesse sur les autoroutes de l’information, ne soit à l’origine des pires frayeurs et des plus funestes fantasmes. « L’humanité court à sa perte » pourrait-on entendre de ci de là, pour la dix millionième fois au moins depuis les premières civilisations.

Rappelons donc à nos peurocrates qu’il y a encore pas si longtemps, avant toutes les évolutions du monde moderne, on mourrait à tour de bras par la moindre maladie. Nous subissions de plein fouet les plus petits caprices de la nature comme les grands. Nous vivions dans un environnement insalubre, salle et nauséabond, dans lequel la mort côtoyait les tas d’immondices de notre quotidien. Un temps où l’hygiène n’existait pas. Certains pensaient même, que la seule idée de se laver, était dangereuse. Un temps dans lequel Dieu était l’origine et à la solution, pour ne pas dire l’inquisiteur et le bourreau.

Et ces enfants : traumatisés par les écrans ?

On nous présente souvent tel ou tel enfant, de préférence très jeune et particulièrement agité, comme l’exemple type du désastre : les dégâts, supposés avérés sur l’enfant, créés par nos tablettes, smartphones, ordinateurs, sans oublier la bonne vieille télévision déjà accablée depuis des dizaines d’années. En arrière-plan, comme déjà dit, les réseaux sociaux. Pour être clair : Facebook. Twitter et Instagram, ou Snapchat, un peu en retrait, mais à l’affût.

La première chose qui me vient à l’esprit est le raccourci grossier présenté. En effet, si je vois un enfant agité ou au comportement bizarre, il me semble logique de rechercher, d’abord, des causes traditionnelles, plutôt que de vouloir mettre en accusation l’écran et lui seul. Aucune de ces enquêtes ne nous présente l’enfant en question sous l’angle de sa personnalité, de son environnement, des parents et leur entourage, sa façon de vivre ou d’être éduqué. Qu’un père soit absent, une mère autoritaire, par exemple, ou qu’il soit entouré de personnes criardes et génératrices de tensions ; que l’enfant lui-même est une personnalité particulière avec ou sans écran, rien y fait. Ce sont forcément les écrans qui sont en tort. Je précise, que dans ce point de vue, le but du propos n’est pas de faire passer les parents pour des tortionnaires. Il s’agit seulement d’envisager qu’il peut y avoir d’autres causes à l’origine de l’enfant turbulent ou en manque d’imagination, que celles que l’on nous présente.

 

Nous pourrions également remettre les faits en perspective dans le cadre d’une échelle plus pertinente. En nous montrant un enfant victime des « écrans », les reportages nous laissent supposer qu’il s’agit d’un exemple représentatif, en conséquence d’une généralité. « Tous les enfants seraient confrontés à des problèmes similaires ». Qu’en est-il des milliers, voire des millions d’enfants, tout aussi usagers des écrans, qui ne présentent aucun problème ? Et, en tout cas, pas supérieur à ceux que peuvent avoir tous les enfants de leur âge ?

Nous pourrions évoquer aussi, les parents qui s’accommodent bien de l’attractivité de ces nouvelles technologies, lesquelles captivent l’enfant évitant ainsi des cris, des demandes insistantes, ou bien des jeux et explorations plus risqués dont l’origine est l’ennui. Finalement, ces objets connectés sont bien pratiques pour que l’adulte puisse préserver sa tranquillité, si l’on veut bien voir cette autre partie de la réalité, sans pour autant soutenir l’attitude.

Par ailleurs, quelques heures sur un smartphone sont moins dangereuses que la nonchalance dans une cuisine, près des couteaux et autres casseroles d’eau bouillante.

Oui, il est possible que l’abus d’interactivité pose problème à certains enfants, et peut-être même des problèmes graves, mais doit-on en faire une loi qui interdise ceux-ci, pour quelques cas extrêmes ? Il est bon d’avertir que l’on peut voir apparaître certains soucis comportementaux. Comme dans l’excès de toute chose, il y a un danger. Y compris dans l’excès de certains de ces reportages qui confondentlanceur d’alerte et alarmisme stigmatisant.

Nouvelles technologies : et si nous parlions bienfaits

Les ordinateurs, le partage d’information, et le si effrayant Big Data, n’en sont qu’à leur début. Pourtant, combien de vie sauvent-ils chaque jour ? Combien de services rendent-ils à tous en quelques secondes ? Quelles énormes facilités ils apportent à chaque instant ? Il n’y a qu’à constater les milliers de start-upsqui naissent en permanence de par le monde pour nous permettre de bénéficier de nouveaux services dans notre vie, notre quotidien.

Grâce à certaines applications ou jeux en ligne, nous rejetons peuvent apprendre à compter, écrire… ou aider à développer leur créativité. On n’y pense pas souvent, mais, pour se servir d’un ordinateur, il faut savoir lire. Il y a de l’écrit partout sur un écran. Et l’enfant, lie. Il doit comprendre pour savoir s’en servir. Il développe donc de l’intelligence. En ce sens, les enfants modernes lisent beaucoup plus que leurs parents nées avant les années 2000. Dans les années 1970, un enfant ne lisait jamais ou presque, sauf à en être contraint par l’école. Même la télévision n’avait pas de message textuel, ou si peu, les moyens infographiques modernes n’existant pas.

Souvenez-vous de l’époque pas si lointaine où, pour avoir des nouvelles de quelqu’un, le seul moyen était de venir le voir ? Les téléphones fixes ont semblé d’une incroyable modernité. Mais il fallait être à côté pour répondre. Maintenant, on peut échanger avec des centaines de proches en temps réel ou presque. Quelques mots, un texto ou SMS, une photo, un émoticon et l’on partage, on informe, on réagit, on s’exprime… on sait. On n’oublie pas l’anniversaire d’un tel ou un tel. On peut trouver toutes les informations que l’on veut, des plus simples aux publications les plus scientifiques. On peut se former, apprendre une langue ou la plomberie. Trouver des solutions pour nos petits problèmes concrets du quotidien, etc. Faut-il encore énumérer les infinis bienfaits qu’apportent toutes ces nouvelles solutions ?

Nous n’idéalisons pas pour autant le phénomène. Il est à notre image, avec nos faiblesses, nos fiertés mal placées, nos approximations.

Addiction et homme-produit

Nous serions donc tous addicts à ces réseaux sociaux, passant des heures à les regarder sans relâches. Ce serait la preuve ultime des méfaits et de la toute-puissance de ces Big-Brothers du Big Data.

Il fut un temps où la radio faisant un doux bruit de fond dans les chaumières. Puis est venu, et existe encore, l’air de la télévision, allumée en permanence dans le salon comme pour assurer une présence. A présent, ce sont les smartphones qui nous occupent l’esprit, les yeux rivés sur la publication à venir. Quand nous parlons de la valse des objets connectés : montres, chaussures, lunettes, vêtements, frigidaires, ampoules et volets … nous craignons la dernière trouvaille : l’assistant connecté, qui nous raccroche à tout moment à la connexion, dès fois que l’on aurait lâché l’affaire cinq minutes.

Cette chasse à l’ennui tient en éveil nos sens avides. Il faut la nourrir en permanence pour ne pas les laisser fléchir ou réfléchir. Les maintenir sous tension, comme un héroïnomane dont toute la journée est intégralement construite autour de son poison destructeur. Ce serait l’image d’Épinal vendue.

 

Sur ce point, soulignons que la démarche du reportage télévisuel est du même ordre : monopoliser l’attention et occuper du temps de cerveau pour vendre de l’espace publicitaire et permettre au reporter de financer sa vie et son œuvre par celle de son média. Le serpent se mord la queue.

Autrefois, dans un village, tout le monde connaissait tout de tous et pouvait même raconter l’histoire de vos parents, jusqu’aux choses qu’il ne fallait pas connaître. Nous n’avions pas l’impression que notre vie était violée ou mise sur le banc public. Nous apprenions simplement à faire attention à nos actes pour faire bonne allure. Sur les réseaux sociaux, c’est pareil. Et comme dans la vie, il y a parfois des personnes qui ne trouvent pas la juste mesure et se livrent sans trop de retenue. Que voulez-vous, nous connaissions aussi dans nos villages, les rendez-vous cachés ou l’impudeur de certains. Tout le monde n’a pas les mêmes limites.

Big Data is BIG

On nous explique aussi que le produit c’est nous. Que le réseau social vend notre vie et du temps de cerveau utile. Cette analyse existe depuis bien longtemps dans les têtes des marketers de tout poil, présentés maintenant comme digne fils de Machiavel. Beaucoup d’analystes, au cours des temps, ont souhaité étudier les courants de pensée humaine pour en tirer bénéfice, politique ou financier par exemple. On vous classe dans une catégorie qui ferait de vous plutôt un électeur de gauche. Mais qu’est-ce qui vous empêche de changer d’avis ou de voter à droite parce que la personne qui se présente à l’élection ne vous convient pas ?

Les analyses, de notre temps, grâce aux informations partagées, deviennent beaucoup plus fines, plus efficaces ou pertinentes. Oui, les réseaux sociaux le permettent comme jamais cela n’a été possible. Pour l’instant, elles restent assez primaire : vous faites une recherche de chaussure un jour et hop ! vous n’avez plus que des publicités vendeuses de chaussures sur toutes vos pages web. Cette histoire dure parfois plusieurs jours, alors que cela ne vous intéresse plus du tout et ne correspond plus du tout à nos aspirations du moment au point même de vous agacer sérieusement. Bof Bof comme efficacité. Un peu lourd et maladroit en fait. Si c’est cela, le Big Data, il nous reste encore du bon temps pour la préservation de notre libre arbitre et de notre identité.

Comme toute nouveauté, il y a un temps pour comprendre, un temps pour l’adapter, des erreurs, des excès, des abus, des gens qui voient la faille et en profitent largement qu’elle soit positive ou moins avouable. La révolution qui est en cours est de l’ordre d’une véritable transformation en profondeur de tout ce qui a fait l’Homme et notre monde depuis des millénaires. Quasiment tout sera remis en cause, en passant par des stades d’évolution et d’autres de retour en arrière ou de rejet. Mais le progrès passera, car, au fond, nous y gagnons tous tellement. A présent les spationautes sont presque des surhommes triés sur le volet et surentraînés, cela n’empêchant pas l’erreur. Demain, probablement, on ira dans l’espace comme prendre le car, sans même le moindre examen.

Les écrans, et ceux qui les font fonctionner, sont fabriqués par des entreprises dont le but est de gagner de l’argent. Leur but n’est pas de nous rendre heureux, mais de nous vendre quelque chose, comme votre boulanger a besoin de votre addiction au pain journalier, pour payer sa vie et contribuer à celle de sa famille, aussi sympathique puisse-t-il paraître. L’intelligence de demain et la manière d’aborder le savoir sont en grande mutation. L’univers des nouvelles technologies fait partie de cette mutation et transformera de manière radicale notre rapport à la vie. Doit-on pour autant l’accusé de tous les maux et lui prêter tous les démons ? Il est fort probable que, dans même pas 20 ans, nos futurs enfants ne sauront même pas ce qu’est un écran, un smartphone ou une tablette, comme ceux d’à présent ne connaissent pas le minitel et n’ont pas idée de ce que peut être une vie sans téléphone. Je me souviens qu’il y a à peine quelques années, on passait presque pour un intello technophile illuminé ultra-tendance si l’on disait qu’internet serait consulter en majorité sur les « GSM » (on ne disait pas encore smartphone). À l’heure actuelle, une personne affirmant la même idée serait perçue comme un ringard qui déblatère des évidences inutiles, un brasseur de vent sans intérêt.

Au cœur de la réflexion, le temps. Toujours le temps. Il crée inévitablement un hier et un demain. L’important, c’est le présent et de savoir se préparer à l’avenir proche, grâce notamment à une bonne connaissance du passé.
 
 

yogaesoteric

9 février 2020



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