Fabrication de l’illusion et voie de sortie (8)

Lisez la septième partie de cet article

Vol énergétique, vol éthique

Votre corps normalement est « programmé » pour rechercher le contentement, éviter la douleur et fuir les situations dangereuses. Votre esprit sait que tout cela est partiellement fragile et vain. Il y a bien une tension ontologique inévitable. C’est en elle que naissent toutes les violences, dans ce désir-besoin d’assurer ce qui ne peut jamais l’être vraiment.

Après quoi vous courrez pourtant dans la quête de jouissances, de possessions, de pouvoir, de richesses, d’honneurs ou de gloire, dans la colère irrépressible de ne pouvoir y goûter assez. Il faut que quelque chose soit plutôt que rien, que s’en aille l’horrible sensation du néant de l’humain, du non-sens de la vie et de l’univers, de votre fragilité. Vous tentez d’y remédier chaque jour tant bien que mal, mais plus vous le niez, plus votre entreprise est tragique. Plus vous acceptez le non-sens et plus votre vie devient comique. Cette double contrainte ontologique peut avoir d’autres expressions puisque l’humain ne peut être réduit à sa raison ou à son intelligence : il est aussi pris dans sa dimension affective, sexuée, émotive, artistique, sportive, etc., dans un conflit des instances à partir desquelles il va mesurer toute chose. 

C’est pourquoi les croyances et conditionnements constituent un vol d’énergie, celle de votre puissance créatrice et de votre libre arbitre dans la conduite de votre vie, au service de votre mission « héroïque ». Il vous affaiblit et vous soumet aux « voleurs », leur donnant ou ayant donné force à votre détriment. C’est pourquoi tout marcheur sur la voie de l’éveil se voit contraint de remettre en cause les bases mêmes de ce qui était ses références. Ses vérités sont ainsi remises en cause au fur et à mesure de sa capacité à écouter son cœur. Il découvre que ses vérités n’étaient, en fait, que les vérités d’un système qui lui fut imposé dès sa naissance. Ainsi untel se croit musulman, bouddhiste ou chrétien, homme esclave ou femme asservie, victime ou possédant un pouvoir quelconque afin de dominer les autres. Son intellect, ses connaissances sont directement issus d’un formatage en règle, et comme un mouton-perroquet, il répète une vérité qu’il croit sienne mais qui, en réalité, ne l’est pas du tout. Il s’est fait bluffer, jusqu’au jour où une certaine petite voix est arrivée à se faire entendre… C’est alors qu’il découvre que nombre de ses problèmes viennent tout simplement de cette éducation mentale, qui a fabriqué ce mur de croyances devenu invisible tellement il était présent en son quotidien. Et puis, parce que tout le monde baignait dans la même ambiance, il se convainquait lui-même que tout cela était réel puisque vécu par tous ses pairs. Il se mit donc à croire que la mort est inéluctable, que la maladie est normale, et que les gros chagrins et souffrances sont le lot inévitable de tout humain qui essaie de faire sa vie en ce monde impitoyable pour les faibles. Tout semble prouver qu’il faut se battre pour réussir. C’est écrit, et des milliards d’individus ont suivi ce chemin depuis l’aube de l’humanité ! 

Mais vous n’avez toutefois pas à revenir en arrière pour traiter les problèmes hérités de l’enfance, perpétués à l’adolescence puis à l’âge adulte. Si ces problèmes – blessures émotionnelles, traumatismes psychiques, conditionnements toxiques et délétères – ont produit en vous une vibration que vous êtes encore en train d’émettre par vos pensées, paroles, actes et omissions, et qui produit les problèmes d’aujourd’hui, vous pouvez changer votre vibration beaucoup plus facilement en traitant les problèmes d’aujourd’hui qu’en essayant de traiter les problèmes de l’enfance. Car c’est la même vibration. En l’observant dans votre présent, vous pouvez décider avec quelle pensée vous vous sentez mieux. 

Cette tension entre le corps, ancré dans les racines de la matière, et l’esprit, qui vient d’un Ailleurs, n’a ainsi pas vraiment de raison d’être. Le corps dans sa dynamique interne est relayé par la conscience. Par elle, l’homme possède la clé d’accès à des espaces de réalité plus riches et plus profonds que ceux proposés par les institutions traditionnelles, sources de son bien-être. Cette clé est logée dans la vision millénaire de tous les grands écrits mystiques de l’humanité, et épurée des limitations des seules survie et reproduction.

Si l’être humain a un corps physique et instinctif, il est également doté d’une raison, d’une spiritualité, d’une mystique pour y parvenir. Cette construction du bonheur dans l’inconscient collectif réside dans les philosophies existentielles. L’école grecque (Platon, Socrate…), le religieux (tout particulièrement le christianisme) et d’autres philosophies spiritualistes (Bouddhisme, Taoïsme), consacrent l’idée du bonheur comme raison d’être de l’humanité.

Les révolutions dites des Lumières, française comme américaine, affirment l’idée que tout humain a droit au bonheur. La déclaration des Droits de l’Homme de 1789 et ses 17 articles constituent l’essence des droits individuels et de la liberté, droits réputés inaliénables, imprescriptibles et sacrés. Dans le préambule de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, les trois droits fondamentaux évoqués sont les droits à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur. Ce dernier devient ainsi une aspiration à laquelle chacun peut prétendre. Mais, dès l’instant où tout le monde y a droit, les mêmes « élites » le proclamant semblent trouver le bonheur moins noble, se mettant à traiter d’idéaliste, de nigaud ou de bisounours celui qui en parle, et se retranchent derrière un modèle économique néoclassique reposant sur l’impuissance individuelle pour s’en affranchir. Pour quelle finalité ? La véritable élévation de l’homme dans le mystère qu’est l’existence, la vie, ou l’utilitarisme et le matérialisme, à savoir l’illusion de l’émancipation par l’assouvissement des désirs ? C’est l’hubris (ou hybris) grec, tout ce qui dans la conduite de l’homme est considéré comme démesure et orgueil aveugle, nourrissant l’arrogance et l’autosatisfaction. 

Une civilisation à contre-destin

La religion grecque antique ignore la notion de péché tel que le conçoit le christianisme dogmatique, tout particulièrement le catholicisme. Il n’en reste pas moins que l’hubris / hybris constitue la faute fondamentale dans cette civilisation, considérée comme un crime. Elle recouvrait des violations comme non seulement les voies de fait, les agressions sexuelles, le vol de propriété publique ou sacrée, mais également l’arrogance, l’excès, la présomption, la superbe, l’orgueil, la prévarication, la recherche du pouvoir pour le pouvoir. Les Grecs lui opposaient la tempérance et la modération. Elle est à rapprocher de la notion de moïra, terme grec qui signifie entre autres « destin ».

Les anciens concevaient en effet le destin en termes de partition. Le destin, c’est le lot, la part de bonheur ou de malheur, de fortune ou d’infortune, de vie ou de mort, qui échoit à chacun en fonction de son rang social, de ses relations aux dieux et aux hommes. Or, l’homme qui commet l’hubris est coupable de vouloir plus que la part qui lui est attribuée par la partition destinale. La démesure désigne le fait de désirer plus que ce que la juste mesure du destin vous a attribué. Le châtiment de l’hubris est la Némésis, le châtiment des dieux qui fait se rétracter l’individu à l’intérieur des limites qu’il a franchies. C’est ce que représentaient les figures divines des Titans et des dieux, les premiers finissant à l’issue d’une bataille par être battus et jetés dans le Tartare, sorte d’équivalent à l’enfer chrétien. Ils semblent être revenus dans votre civilisation présente, celle qui a commencé le jour où Noé a fait passer le flambeau de la Connaissance d’une civilisation disparaissant sous le Déluge à une autre. Et comme l’histoire est un éternel recommencement, certes sous des formes différentes, vous pouvez en discerner l’issue … 

L’état des lieux

Toute sa vie, le sociologue et philosophe Jean Baudrillard (1929/2007) s’est attaché à planter des banderilles dans les illusions des Européens, entretenues dans l’inconscient collectif comme individuel par le système prédateur et ses promesses dévoyées comme celle de liberté. Il en découle des rêves de libération : politique, sexuelle, des forces productives, des forces destructives, de la femme, de l’enfant, des pulsions inconscientes, de l’information, de l’art … La grande supercherie a été tout particulièrement les « seventies », où tout a été libéré, comme il l’écrit en 1990 dans La Transparence du mal : « Ce fut une orgie ¬totale de réel, de rationnel, de sexuel, de critique… », orgie que vous êtes condamnés à « simuler » par la répétition d’actes libérateurs vides de sens, puisque leurs « finalités sont derrière vous ». 

Il en découle que la libération pour la libération se retourne contre elle-même, la conscience anesthésiée la privilégiant pour ne pas « affronter » de face la prédation qui l’asservit en lui faisant croire à l’utopie du salut dans la liberté, ce nouvel anneau de servage instillé dans l’inconscient, et annoncé triomphalement par tous les gourous philosophes encensés par le mainstream universitaire à l’image de Francis Fukuyama, philosophe-économiste et chercheur en sciences politiques américain qui, en 1992, célébrait béatement « l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de tout gouvernement humain » dans La Fin de l’Histoire et le dernier homme.

Quant au fameux « âge de l’information » et de la libre communication dans les réseaux virtuels, il n’est qu’à voir l’état des lieux (tout particulièrement dans les transports urbains) pour constater combien il raréfie les échanges face à face et dévore le monde réel par l’addiction pathologique à son flux incessant et à son tombereau d’inepties.

Il pointe de manière chirurgicale l’emprise émotionnelle – l’attisement des désirs – exercée sur le citoyen consommateur lobotomisé par le marketing et la publicité dans son essai La Société de consommation (1970). C’est la fin des « trente glorieuses » que d’aucuns qualifient de « trente piteuses » de l’humanité à la sauce des Lumières maçonniques : le plein-emploi est quasiment assuré, les grands magasins ne désemplissent pas, la publicité envahit l’espace.

Désormais, l’individu ne consomme plus pour satisfaire des besoins élémentaires, mais pour assouvir des désirs attisés par le marketing, se différencier des autres, rivaliser avec eux. Le shopping devient la quête moderne du bonheur, la nouvelle « morale » culpabilisante du citoyen responsable du bon fonctionnement démocratique libéral … L’objet a pris le pas sur le sujet, qui vit « comme une liberté (…) ce qui est contrainte d’obéissance à un code ».

La personne est réifiée, aliénée par la marchandise et sa promotion sur les ondes libératrices en cours de déploiement, l’audiovisuel, et son seigneur totalitaire télévisuel. Il va sans dire qu’il va nourrir les penseurs de la gauche antilibérale, altermondialistes, anti-utilitaristes ou néomarxistes, totalement imprégnés de cette critique de la consommation mais qui, parvenus pour certains au pouvoir quelques décennies plus tard, renverseront leur cuti tout en continuant à illusionner leurs gogos partisans. Réalité du pouvoir oblige, « s’excuseront-ils » (et quand on excuse soi-même…). 

Sous l’influence des théories du canadien Herbert Marshall McLuhan (1911/1980), un des fondateurs des études contemporaines sur les médias, il décrit la prégnance physique et intellectuelle des médias qui placent l’être humain au cœur d’une combinaison fatale pour sa conscience, soit le ragout télévisuel/publicitaire/culturel servi en continu par un vortex géant d’écrans, de battage informationnel et symbolique, d’actualités dramatiques et de technologies qui captent toute votre attention, votre imaginaire et vos corps.

Cette culture du narcissisme découlant de l’hédonisme consumériste d’un monde de « simulacres vrais », abolit toute distance critique, l’enveloppant par une multiplication de signes et d’images scénarisées où le média réalise l’événement en le déréalisant. Ainsi, dans cette prolifération des simulacres, la « gauche divine » prétend « changer la vie » tout en ne faisant que gérer la crise, au même titre que « la droite » ; les centres-villes et les hauts lieux touristiques sont transformés en musées ; les corps rêvés du bodybuilding et de la chirurgie esthétique se popularisent ; les grands-messes télévisées autour d’un événement-spectacle – guerre du Golfe ou morts de Diana et de Johnny – scandent vos vies passionnelles ; la télé-réalité s’empare du divertissement.

Cette « hyper-réalité » désacralisée conduit tout naturellement à l’individualisme forcené, fondé sur la seule satisfaction du Moi et oubliant tout – altruisme et solidarité. Il participe du détricotage méthodique de la conscience collective, préalable à l’instauration d’une gouvernance totalitaire au moyen d’une technologie de surveillance de pointe au prétexte d’une protection sécuritaire d’exactions initiées par les mêmes maîtres-artificiers.

L’historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret a listé dans le Cahier de L’Herne les nombreux films baignant dans une atmosphère « baudrillardienne », au sens où s’y exprime, dit-il, « le sentiment diffus d’un monde qui complote, sous contrôle, à la fois transparent (tout est visible) et totalement opaque (tout est caché), un monde paradoxal où ce que l’on me montre n’est pas ce qui est ». Ce sont Vidéodrome et Crash (David Cronenberg, 1983 et 1996), Dark City (Alex Proyas, 1998), The Truman Show (Peter Weir, 1998) et, bien sûr, la trilogie Matrix (1999-2003) des Wachowski, explicitement inspirée par Simulacres et simulation, où les humains rêvent une réalité électronique enfermés dans des cocons câblés à un ordinateur central. 

Dans les années 1990, alors que les réseaux tissent la toile du World Wide Web doublant le monde réel d’un cyberespace, Jean Baudrillard prend acte d’un glissement sans précédent vers la déréalisation du monde – et, partant, vers l’aliénation radicale dans son essai Le Crime parfait (Galilée, 1995), autrement dit « le meurtre de la réalité ». Pris dans un incessant aller-retour où ils finissent par se confondre, le monde réel et les mondes virtuels et médiatique vous engluent, assure-t-il, dans leur « réalité intégrale, comme si les choses avaient avalé leur miroir et étaient devenues transparentes à elles-mêmes. (…) Elles sont forcées de s’inscrire sur les milliers d’écrans à l’horizon desquels non seulement le réel, mais l’image a disparu. La réalité a été chassée de la réalité. » C’est « l’écran total » …

Lisez la neuvième partie de cet article

 

 

yogaesoteric

25 mai 2019

 

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