Google et Facebook versus #FakeNews : de la fabrique de l’information vers la fabrique d’opinion ?

La chasse aux fake news est un thème en vogue, qui travaille les sphères politiques, mais pas seulement. Ainsi, alors que le sujet « fausse information » n’a toujours pas été traité de façon intelligente, collégiale et réfléchie, Google et Facebook l’ont déjà plié à leurs propres intérêts.

Sans que personne n’y retrouve à redire ou ne vienne contester cette nouvelle hégémonie des deux plus importantes entreprises californiennes de portée planétaire sur – excusez du peu – la « vérité ». Observation de la « fabrique de l’opinion » par le moteur de recherche internet aux 90% de parts de marché et du réseau social aux 1 milliard 500 millions comptes [plus ou moins] actifs.

Google : sous-traitance du fact checking aux médias [très dépendants]

Le système de « détection de fake news » de Google – testé depuis l’automne dans quelques pays – va se généraliser dans les mois qui viennent. Il est assez simple à comprendre, et terriblement inquiétant dans sa forme comme dans son fond (pour qui a une réflexion sur l’information et la construction de l’opinion) : certaines recherches vous donnent comme résultat un lien vers un article accompagné d’un « marqueur de vérité ». Ce marqueur (de « fact checking », donc) s’affiche en noir et peut avoir plusieurs valeurs : True, False ou Mixture , voire Unproven. Vous cherchez une information sur un sujet, et si ce sujet a été fact checké par un média partenaire de Google dans cette opération-vérité, Google vous indique par avance le « label vérité » donné par le site de fact checking ainsi que le lien vers l’article qui a fact checké ce sujet. Si c’est « True », l’article explique pourquoi, comme pour « False », et le label « Mixture » expliquera pourquoi c’est partiellement vrai et faux à la fois, ainsi qu’Unproven, qui démontre pourquoi ce n’est « pas prouvé »…

Un exemple avec cette information au sujet de la présence de glyphosate dans les aliments, causée par l’utilisation massive de RoundUp, l’herbicide star de Monsanto. Un rapport d’organisations de défense de l’environnement est sorti à ce sujet et a fait beaucoup de bruit aux Etats-Unis en fin d’année dernière. Le rapport indique que Monsanto aurait fait pression pour qu’on ne puisse pas dire que le glyphosate est cancérigène, et donc dangereux.

Le citoyen américain, inquiet, peut donc chercher à en savoir plus sur cette affaire, en tapant sur son moteur de recherche préféré, Google. Et là, par « la magie du fact checking et de la chasse aux Fake news », l’internaute soucieux de vérification et de vérité peut enfin se rassurer : cette information a été fact checkée, et c’est un false qui apparaît.

Le média partenaire de Google, snopes.com a « fait le job » : un article très complet avec une grosse croix rouge explique pourquoi il ne peut pas y avoir de substance dangereuses comme le glyphosate dans les aliments qui ont poussé dans des champs traités au RoundUp. Que Monsanto est parfaitement innocent. Mais l’article ne se contente pas de dire que Monsanto n’a pas fait pression, non. Il explique aussi pourquoi le glyphosate est parfaitement sans danger.

Selon snopes, donc, le rapport « des activistes de l’environnement » ne repose pas sur grand-chose, c’est une fake news qui est juste sortie pour salir Monsanto. Heureusement que des médias sérieux sont là pour rétablir la vérité et éviter que les internautes ne se laissent piéger par ce genre de théories du complot ! Et si le site snopes.com est financé par de la publicité, dont des encarts à la gloire de Monsanto, ça n’a aucune espèce d’importance : les journalistes ne sont pas sous la coupe des directions financières des médias qui les emploient, c’est évident, tout le monde le sait, et jamais ils n’iraient publier des articles pour défendre des annonceurs (qui les font vivre).

Des annonceurs dont les chiffres d’affaires sont supérieurs au PIB du Portugal. Non, jamais… Quant aux analyses des résidus que le Roundup laisse dans les aliments, et les enquêtes sur le glyphosate dans les aliments en Europe, l’Américain un peu inquiet n’a plus à s’en soucier : le fact checking propulsé par la méta-firme d’indexation planétaire devrait lui suffire. Merci qui ? Merci Alphabet-Google. Et la chasse aux fake news. Les faits, coco, rien que les faits…

Facebook : délation, collaboration et punition




Facebook est une entreprise à l’éthique irréprochable, c’est bien connu. Bien qu’ayant eu quelques déboires avec la justice, Facebook, dont les pratiques en termes d’influence, de manipulation des foules, de pillage des données personnelles sont [un peu] connues depuis quelques années, a décidé d’aider l’humanité à se prémunir des mensonges. Oui, Mark Zuckerberg veut permettre à tous les fans de son réseau social de ne pas tomber dans le piège des théories du complot et des informations fabriquées qui viennent influencer le choix des électeurs ou des consommateurs. Mark est une sorte de bienfaiteur qui veut permettre à tout un chacun de lire seulement « ce qui est vrai », et bannir « ce qui est faux ». Seul le vrai a de la valeur, c’est bien connu. Il faut éviter les discours faux. Et se référer au vrai : comme les discours de Mark Zuckerberg, ce PDG qui continue à expliquer qu’il développe ses outils pour faire du monde « a better place ». Mais oui Mark, on te croit.

Quelles sont donc les solutions de Mark pour chasser les fake news et éclairer les fans de son réseau social ? La délation pardi ! Chaque facebookien va pouvoir désormais signaler une information qu’il estime « fake », pas claire, sûrement pas vrai, à des médias partenaires (que Mark compte peut-être bien rémunérer, il y réfléchit). Les médias fact checkers vont alors aller vérifier si l’information leur semble décidément fausse ou pas. Ensuite, libre à Mark et ses troupes de bannir l’info, le compte qui l’a diffusé de Facebook.


Résumé de la situation (avant suicide collectif)

Il y a de tout sur le réseau Internet. Des gentils, des méchants, du bien, du mauvais, du moyen, du vrai, du faux, du presque vrai, et même du presque faux. Cette trouvaille incroyable, effectuée il y a quelques mois par les observateur du monde numérique suite à l’intense campagne électorale (de grand n’importe quoi) pro Trump, a de quoi faire frémir la ménagère, et trembler les gens sérieux qui veulent le bien de l’humanité : les politiques et les capitaines d’industrie.

On ne sait jamais, les gens qui votent pourraient avoir envie de suivre d’autres voies que celles qu’on leur martèle à longueur de journées via les canaux officiels à la rentabilité nulle mais achetés des fortunes par des grands industriels. Il est donc temps de faire taire tout ce qui pourrait « fabriquer du doute », les marchands de fake news, ces horribles groupes de l’ombre qui distillent de gros mensonges que les foules plébiscitent à longueur de clics.

Oui, mais non.

La situation n’est pas si simple, loin de là. Qu’il y ait des informations fabriquées pour influencer l’opinion, que des politiques ou des groupe d’influence peu scrupuleux utilisent ces méthodes pour remporter des scrutins, ou créer de l’adhésion, que des fermes à clics diffusent massivement ces informations bidons (ou grâce à des hordes de robots), que le public ne sache pas toujours très bien discriminer ce qui est de l’ordre de l’info bidon ou d’une info fiable, tout ça est certain. Mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Ce phénomène d’infos bidons existe depuis déjà un certain temps. Et s’il prend de l’ampleur, et s’il doit être observé et traité, cela ne peut pas être effectué par les mêmes qui s’enrichissent avec la diffusion de fake news, justement, et surtout, qui ont capturé la quasi-totalité des utilisateurs d’internet dans leurs silos à information. On ne demande pas aux renards de venir garder le poulailler quand on part en vacances…

Quant aux médias partenaires, remarquons que s’ils sont sous perfusion des aides d’Etat ou financés par des annonceurs, leur indépendance vis-à-vis de l’information est plus que contestable. Surtout s’ils deviennent des « gardiens de la vérité » censés chasser en particulier les « ennemis » de ceux qui les nourrissent. Il suffit de se rappeler l’unanimité des médias américains lors du déclenchement de la seconde guerre d’Irak, ou celle des média français à chaque intervention militaire hexagonale pour s’inquiéter de la qualité des chasseurs de fake news à la solde de Google et Facebook.

Mais bien entendu, rien n’est à craindre, en réalité : l’information n’est qu’une suite de faits vérifiables, le journalisme une pratique parfaitement objectivée et définie, et les grandes entreprises américaines de l’Internet, des bienfaiteurs de l’humanité.

Tout le monde peut applaudir et aller se rendormir : il ne s’est rien passé, le contrôle et l’orientation de l’information sur Internet, l’influence sur les foules par les entreprises leaders du réseau n’existe pas. Soyons rassuré : le monde libre terrasse toujours les méchants à la fin.

yogaesoteric

5 juin 2017

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