« Intervention humanitaire » et « Nouvel ordre mondial » : La violation du droit international (1)


Le terme « intervention humanitaire » est un néologisme politique américain (inventé récemment) afin de couvrir moralement un nouveau mode de l’impérialisme mondial de Washington, à l’époque de l’après-Guerre froide du « Nouvel Ordre Mondial », où les États-Unis jouent librement un rôle de gendarme mondial. Théoriquement, selon la conception occidentale de l’« intervention humanitaire », un ou plusieurs États (les États-Unis et l’OTAN) ont une (quasi) obligation morale, et/ou un droit d’intervenir dans les affaires intérieures d’un autre État, si cet État (selon l’auto-évaluation de Washington) ne respecte pas les principes communément admis du droit humanitaire, mais surtout si la mission de cette intervention militaire consiste à sauver la vie d’un groupe particulier de personnes (minorité) menacées ou sans protection, du fait des autorités de l’État contre lequel est dirigée cette intervention. Ici, l’origine nationale ou étrangère (citoyens) d’un tel groupe est sans importance.

Les tensions entre les droits de l’État et les droits de l’homme sont cependant devenues très aiguës, depuis 1990, en raison de la fréquence croissante de ce qu’on appelle « l’intervention humanitaire ». Les grandes puissances ont assumé le droit d’intervenir militairement dans les affaires intérieures d’autres États (souverains) afin de protéger leurs citoyens contre les abus, et éventuellement la mort, souvent commis par leur propre gouvernement. D’autre part, la question se pose toutefois de savoir pourquoi une telle « intervention humanitaire » fut critiquée ?

L’expression « intervention humanitaire » est composée de deux mots/termes : « humanitaire » et « intervention ». Le premier signifie une préoccupation pour les intérêts de l’humanité, notamment le désir de promouvoir le bien-être humain ou de réduire la souffrance humaine. Le deuxième désigne une action de force menée par un État (souverain) contre un autre État (souverain), mais sans le consentement de celui-ci. En combinant les deux termes, « l’intervention humanitaire » est, par définition, « une intervention militaire qui est menée dans le but d’atteindre des objectifs humanitaires plutôt que stratégiques ». Cependant, le terme est devenu très contesté et profondément controversé, une intervention militaire ne pouvant en aucun cas être humanitaire, c’est-à-dire légitime et défendable, comme l’affiche le qualificatif d’« humanitaire ».

Les gardiens de la paix de l’ONU conduisent leur char en patrouille au-delà du village désert de Kibati, près de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo, le 7 août 2013. Une force de l’ONU de 17.000 hommes, connue sous le nom de MONUSCO, et les troupes congolaises ont lutté au cours de la dernière décennie pour endiguer un conflit impliquant des dizaines de groupes armés, dans une complexité de rivalités nationales et ethniques.

En fait, il est vrai que la notion d’« intervention humanitaire » vient du principe d’intervention de l’histoire de la pensée politique, à partir de la période classique où le droit public international pouvait être utilisé par un État, afin d’interférer unilatéralement dans les affaires intérieures d’un autre État, sous prétexte de préserver ou de changer la situation politique au sein de l’État attaqué. Cependant, les interventions militaires (illégales) ont souvent été historiquement mises en œuvre, et le sont encore, sous l’excuse formelle (ou prétexte) de protéger le principe moral de l’humanité, ou les Droits de l’homme, dans un état donné, qui couvre de fait ou justifie une agression armée pure et simple. Il est tout à fait clair que de telles interventions ne sont le plus souvent qu’une légitimation d’objectifs politiques dénués de véritable moralité.

Que le concept de « droit à l’intervention humanitaire », et le principe qu’il fonde du « droit de protéger », le « D2P », ait été transgressé d’innombrables fois partout dans le monde est un fait historique. Étant donnée la tradition du droit international, qui n’interdit pas le fait de guerre comme « instrument de diplomatie par d’autres moyens », il était assez facile de justifier le D2P, afin de résoudre certains différends et problèmes entre États, ou d’autres acteurs politiques. Cependant, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, quand la Charte des Nations Unies devint la source du droit international contemporain, le D2P, considéré comme une intervention militaire unilatérale sans autorisation stricte du Conseil de sécurité de l’ONU, est de fait un acte d’agression qui, par conséquent, ne peut être autorisé ou justifié comme répondant aux véritables principes d’humanité et de protection des Droits de l’homme, qui sont, en l’occurrence, transgressés.

Ici, nous devons garder à l’esprit que même une menace de l’usage de la force transgresse le système de droit international contemporain, comme le stipule l’article 2 (4) de la Charte des Nations Unies, qui interdit aux États de faire des menaces d’actions de force ; bien que le sens de cette interdiction soit peu clair, il n’en demeure pas moins vrai que de telles menaces d’actions de force sont assez courantes dans la politique internationale. Au cours de l’histoire récente, un exemple de telles menaces délibérées, destinées à extorquer des concessions politiques, eut lieu au début de l’an 1999, au cours des « négociations » de Rambouillet (France), entre les représentants politiques des Albanais du Kosovo, et le gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), lorsque Belgrade fut directement soumise au chantage d’une intervention militaire de l’OTAN, afin d’acquiescer à ce que l’administration américaine avait mis sur la table. Dans ce cas particulier, Washington ne se donna même pas la peine de cacher sa politique de banditisme diplomatique, dans la mesure où les États-Unis, se référant au consensus entre les alliés, avaient publiquement déclaré que la stratégie de résolution de la crise du Kosovo reposait sur une « combinaison de diplomatie et de menace crédible d’action de force ». Une telle politique de banditisme diplomatique fut couverte par le biais politique employé de manière superlative, par, à la fois les USA et l’OTAN, afin de justifier leur politique dans la région.

Une Histoire de la transgression du D2P

Historiquement, le D2P ou « intervention humanitaire » représentait l’une des bases de la politique coloniale menée par les grandes puissances dans les relations internationales. Fondamentalement, il fut appliqué par les colonialistes occidentaux, afin de dissimuler le mobile réel de leurs aspirations coloniales qui était l’exploitation économique directe, nue et crue.

Les paragraphes ci-dessous, se contentent seulement d’évoquer deux exemples remarquables de l’histoire moderne, antérieure à la seconde guerre mondiale, concernant l’usage impropre et les abus du D2P :

1 – Dans l’histoire moderne, l’idée d’« intervention humanitaire » fut employée par les « démocraties libérales » occidentales pendant la guerre civile russe en 1917-1921, quand, après la révolution d’Octobre 1917, les puissances occidentales organisèrent une intervention militaire contre le gouvernement bolchévique (contrôlé par l’Allemagne). Toutefois, à cette époque, il n’existait pas d’instrument, que ce soit au niveau régional ou interne, qui traitait de la question des Droits de l’homme. En principe, on considérait que ces questions relevaient strictement des affaires intérieures d’un État, selon les principes de base de la souveraineté tels qu’ils avaient été institués par le système de Westphalie en 1648. En dehors de toute considération sur la véracité essentielle de cette déclaration occidentale, force est de constater qu’elle n’a servi politiquement que de prétexte, dans le jeu politique occidental, pour l’acquisition d’intérêts stratégiques en Eurasie, après la première guerre mondiale.

2 – L’Allemagne d’Hitler justifia ses agressions contre d’autres États, par la nécessité de protéger les minorités allemandes « menacées » (le Peuple Allemand). Moralement, une telle raison était purement de nature « humanitaire ». Cela fut, par exemple, clairement souligné par Adolf Hitler lui-même, dans sa lettre au Premier ministre du Royaume-Uni, Neuville Chamberlain, en date du 23 septembre 1938, dans laquelle il affirmait que la minorité allemande de la Tchécoslovaquie de l’époque, était « torturée » et, qu’en conséquence, quelques 120.000 de ses membres furent contraints d’émigrer (purification ethnique). Pour Hitler, il s’agissait maintenant d’un problème international concernant la sécurité de plus de 3 millions d’allemands ethniques, autour de la Tchécoslovaquie, et dont la survie était en grand danger. C’est pourquoi, étant donné le respect et la légitimité du droit des nations à l’autodétermination, Hitler réussit à créer les bases formelles de l’intervention militaire allemande, qui aboutit au démembrement et à l’occupation de la Tchécoslovaquie en tant qu’État souverain, seulement par une transgression évidente de la question des droits de l’homme et du D2P.

L’armée des États-Unis à Vladivostok (Russie) en 1918

Ces deux exemples, bien connus, ne servent toutefois qu’à montrer que, selon le droit international et l’ordre juridique de l’époque, l’intervention au nom du D2P était permise moralement sans être interdite dans la pratique par les grandes puissances. Néanmoins, dans la majorité des cas, les interventions au nom du D2P, furent utilisées uniquement pour dissimuler les mobiles véritables de ces interventions dans le cadre d’une « action humanitaire » et, c’est la raison pour laquelle, au XIXe siècle, certains théoriciens avaient proposé que le principe de non-intervention dans les affaires intérieures d’autres États souverains soit entériné comme faisant partie intégrante du droit international. Enfin, ces suggestions aboutirent à ce que, de manière normative, la Charte des Nations Unies adopte l’interdiction de la guerre (d’agression), comme moyen violent de résoudre les différends. Par la suite, depuis 1945, cette interdiction est devenue une partie intégrante du droit international.

Le Droit à l’autodétermination et la Doctrine Monroe de 1823

Ce droit fut utilisé ou respecté à certaines conditions par les grandes puissances depuis la proclamation des États-Unis en tant qu’État indépendant en 1776, lorsque le processus de décolonisation commença dans le monde. Ce processus atteignit son apogée après la Seconde guerre mondiale, et aujourd’hui la décolonisation est presque terminée. Il est tout à fait vrai que la Révolution française ait proclamé le Droit des peuples à l’autodétermination, mais en même temps, selon la Constitution française de 1793, la France ne devait pas intervenir dans les affaires intérieures des autres États, et ne devait pas tolérer l’ingérence d’autres États dans ses propres affaires intérieures (l’article 119). Ainsi, le principe de base des relations internationales fut confirmé : le principe de la souveraineté.

Du point de vue actuel, les États-Unis sont le principal responsable du mauvais usage du principe du droit à l’autodétermination des peuples (Groupes ethno-nationaux) ; or ce pays, qui avait fondé sa propre indépendance politique, exactement sur la base de ce droit, est un pays qui jusqu’à la Guerre froide prônait le même droit pour les autres. Par exemple, le Président américain James Monroe, qui, dans sa déclaration au Congrès américain du 2 janvier 1823, introduisit les quatre principes fondamentaux de sa propre doctrine dite de Monroe, sous le slogan: « l’Amérique aux Américains ! » :

1. L’interdiction de la colonisation de l’Amérique par les pays européens ;
2. L’interdiction de l’ingérence des États européens dans les affaires intérieures des États américains ;
3. Les États-Unis n’interviendront pas dans les affaires intérieures des États européens, y compris, dans les affaires de leurs colonies dans le monde entier ;
4. Toute intervention des États européens conçue aux fins de subjuguer des États proclamés indépendants sera considérée comme hostile aux États-Unis. (Milan Paunovic, « Intervention humanitaire en tant qu’abus du principe de l’usage interdit de la force en droit international », Eurobalkans, automne/hiver, 1999, p. 19 ; Dr Alan Isaacs et coll. (éd.), Dictionnaire de l’Histoire du Monde, Oxford-New York : Oxford University Press, 2000, p. 421).

Cependant, alors que le message de Monroe fut accueilli avec enthousiasme aux États-Unis, il a eu peu d’influence pratique à l’époque où les grandes puissances européennes n’avaient aucune intention d’intervenir militairement à une échelle considérable, et considéraient ce message avec irritation et mépris, (James Truslow Adams, R. V. Coleman (dir.), Dictionnaire d’Histoire Américaine, seconde Édition révisée, vol. IV, New York : Charles Scribner’s sons, 1951, p. 13). Néanmoins, l’essence cachée du message était claire : laisser le territoire de l’Amérique à l’impérialisme américain qui débuta en 1845 par l’annexion du Texas indépendant (ex-territoire mexicain). La République du Texas était un État indépendant, reconnu comme tel par les États-Unis, de 1836 à 1845. L’annexion du Texas par Washington en 1845 a provoqué la guerre américano-mexicaine en 1846, (Henri Bemford Parks, Histoire des États-Unis D’Amérique, Istorija Sjedinjenih Američkih Država, Beograd : « RAD », 1986, 323 – 339).

Cependant, nonobstant ce développement historique du droit de la souveraineté des États indépendants, reconnu dans le monde, la plus forte puissance de l’après-Guerre froide (les USA), fut, de manière évidente, guidée, dans ses affaires étrangères après 1989, principalement par ses intérêts nationaux, et par des objectifs géopolitiques qui violent les principes de la doctrine Monroe de 1823. Après 1945, force est malheureusement de constater que le système très développé de protection des Droits de l’homme, au sein du droit international, est, après la Guerre froide, devenu un terrain très fertile pour les administrations de Washington et de l’OTAN, (gouvernées par les États-Unis), afin de se présenter comme le champion de la protection de ces droits, y compris le Droit des peuples à l’autodétermination. Toutefois, légalement, le seul protecteur légitime de ces droits reste l’ONU – c’est la seule institution légale et légitime à autoriser « une intervention humanitaire », après proposition du Comité des Nations Unies pour les Droits de l’homme, et discussion au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies. En ce qui concerne le niveau régional, par exemple en Europe, de telles légitimes organisations sont la Cour européenne de protection des droits de l’homme et l’OSCE, qui doivent travailler sur la base de la Convention européenne de protection des droits de l’homme.

La Turquie et l’Ex-Yougoslavie

Il y a des exemples bien connus, passés et présents, de grandes crises humanitaires et même de catastrophes dans l’histoire récente comme, par exemple, en Colombie, en Turquie, au Myanmar, etc. où les gouvernements locaux ont liquidé des milliers de leurs propres citoyens chaque année, et où ces mêmes grandes puissances, et en premier lieu les États-Unis, jouèrent un rôle clé, sans même montrer la moindre inquiétude. La même chose s’est produite avec l’exode de plusieurs centaines de milliers de personnes, par exemple, l’expulsion de quelques 250.000 Serbes de souche de Croatie, ou de quelques 330.000 Serbes, Monténégrins et d’autres nationalités non-albanaises, du Kosovo, administré par l’OTAN après la guerre du Kosovo de 1998-1999. 15. Bien au contraire, ces grandes puissances renforcèrent les administrations qui provoquèrent ces crises humanitaires et, par conséquent, participèrent directement aux politiques de violation des Droits de l’homme. Pendant la guerre civile yougoslave des années 1990, où seuls les Serbes furent accusés par les gouvernements occidentaux et les médias de masse, de tous les crimes commis sur le terrain, tandis que pour le cas de la Turquie (État membre de l’OTAN depuis 1952) la répression de son gouvernement contre les Kurdes, par exemple, fut passée sous silence en Occident, au nom des seuls intérêts géopolitiques dans la région des États-Unis et de l’OTAN, son organisation marionnette. Toutefois, contrairement aux gouvernements occidentaux, la Turquie fut critiquée à maintes reprises par le Conseil de l’Europe à Strasbourg, pour sa politique de terreur et de violation des Droits de l’homme des Kurdes locaux.

Vestiges du quartier général de l’armée yougoslave bombardé par l’OTAN lors de la campagne aérienne de 1999

Cependant, contrairement à cette affaire turque, lorsque la crise de la province du Kosovo-Métochie, au Sud de la Serbie, s’est aggravée en raison de la politique de terreur de l’armée albanaise de libération du Kosovo (l’ALK), dont les membres enlevèrent et exécutèrent des civils serbes en attaquant les forces de sécurité régulières, l’OTAN décida, sans aucun fondement issu de la Charte des Nations Unies, ni aucune autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, de bombarder un État formellement souverain et indépendant, pour empêcher une catastrophe humanitaire dans la région (des Albanais de souche). Il est vrai que l’emploi de la force de la part de la police serbe, dans la lutte contre le mouvement séparatiste albanais représenté par une UCK terroriste, fut excessif. Néanmoins, l’OTAN n’avait aucun droit légal de bombarder le pays sans une décision appropriée du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Fondamentalement, une agression de facto contre un État souverain fut présentée comme une « intervention humanitaire » de jure. Cette crise, en fin de compte, qui se trouvait à l’origine dans le domaine de la guerre contre le terrorisme, a vu son l’ampleur considérablement aggravée par son passage au niveau d’une véritable catastrophe humanitaire. C’est la raison véritable pour laquelle une catastrophe humanitaire pour tous les citoyens de Serbie et du Monténégro, mais surtout du Kosovo-Métochie, est devenue réalité. Au cours de la guerre, principalement en raison des bombardements barbares de l’OTAN, puis de la vengeance des forces de sécurité serbes, un grand nombre de personnes de toutes nationalités devinrent réfugiées dans les pays voisins, ou en qualité de personnes déplacées. Par la suite, l’intervention humanitaire de l’OTAN a produit des effets tout à fait contraires. Après la guerre, les Albanais, sous le parapluie de l’OTAN, ont commis des atrocités de purification ethnique dans la région, mais sans aucune « intervention humanitaire » de la communauté internationale pour les arrêter ni les punir.

Vladislav B. Sotirović

Lisez la deuxième partie de cet article


yogaesoteric
28 février 2020

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