Les expériences au seuil de la mort (26)

Par Alain Moreau


Lisez la 25ème partie de cet article

L’évidence de l’après vie – Un délire ?

On trouve, sur le site de IANDS-France, une critique de la pertinence du témoignage EMI d’Eben Alexander, cette critique (datée de juin 2013) étant l’oeuvre du docteur Jean-Pierre Jourdan :

 

« Une opinion personnelle sur le livre d’Eben Alexander : La Preuve du Paradis, par le Dr Jean-Pierre JOURDAN. Après la lecture de ce livre, et au vu de l’image totalement faussée qu’il peut donner des EMI et de celles et ceux qui ont vécu cette expérience, il m’a semblé nécessaire de faire une mise au point. Si le texte qui suit se trouve sur cette page Opinions et Réflexions, c’est simplement parce que je l’ai écrit et l’assume en mon nom personnel et non en tant que président de l’association IANDS-France. Il ne reflète donc que mon opinion et n’engage que moi : Dr Jean-Pierre JOURDAN.

Le Dr Eben Alexander semble avoir fait l’unanimité autour de lui, surtout dans le petit monde qui gravite autour des EMI. Charismatique, charmant, racontant sa propre expérience avec conviction, humanité, chaleur et émotion, que demander de plus à un neurochirurgien, dont la pratique quotidienne implique une rigueur scientifique qui ne pouvait que donner du poids à son témoignage.

Un témoignage qui allait enfin convaincre les plus sceptiques, car au vu des réactions suscitées par la relation de son expérience, on était clairement à un tournant dans l’histoire des EMI. Depuis vingt-cinq ans que je recueille et étudie les témoignages de personnes qui avaient vécu une EMI, combien de fois n’ai-je pas regretté de ne pouvoir recueillir plus de données précises, en particulier sur leur état cérébral au moment de l’expérience, tout simplement parce que cette dernière datait de dix, quinze, parfois vingt ans… Et là, une expérience apparemment extraordinaire nous était servie sur un plateau, toute fraîche, et de surcroît vécue par un médecin et scientifique au-dessus de tout soupçon. N’ayant pas eu la chance de pouvoir assister à une conférence de mon confrère américain, j’ai donc acheté son livre, qui apparemment se vend comme des petits pains.

Je reconnais que son titre La preuve du Paradis me gênait un peu aux entournures. S’il n’avait été écrit par un médecin, et si je n’en avais pas entendu des commentaires aussi dithyrambiques, je l’aurais jugé comme un probable ouvrage de prosélytisme clérical et en serais resté là. Le Paradis est un concept essentiellement religieux qui me semble déplacé dès lors qu’il est question d’EMI. En effet, la grande majorité des expérienceurs – européens et francophones, certes – que j’ai pu rencontrer, croyants ou non, relativisent largement les religions dogmatiques (en fait, il apparaît qu’ils rejettent tout ce qui est dogmatique) au profit de ce que l’on pourrait appeler une spiritualité laïque. Mais les Américains, croyants ou non, baignent depuis leur enfance dans une religion omniprésente qui leur est aussi naturelle que l’est pour nous l’air que nous respirons. Alors, pourquoi ne pas qualifier de Paradis les sensations d’Amour inconditionnel et d’immense bien-être, la libération de toute tension et de tout conflit qui baignent une EMI, si c’est le premier mot qui vous vient à l’esprit ?

Admettons donc, mais sachant que les scientifiques sont en général – et à juste titre – assez chatouilleux quand la religion essaie de pointer son nez dans la science, un tel titre ne peut que les rebuter d’emblée. Ce qui n’est pas un très bon début si l’on prétend contribuer à la connaissance en apportant des preuves que l’on suppose scientifiques… Mais bon, ce n’est qu’un mot, évitons de juger a priori.

Aïe, le sous-titre : ‘Voyage d’un neurochirurgien dans l’après-vie’ n’est pas mieux ! Enfin si. Pour les ventes du livre, il est même parfait ! Pas facile de résister à un éditeur qui vous explique que si vous appelez votre livre ‘ Un souvenir de coma étrange et pénétrant’ ou ‘Voyage d’un neurochirurgien dans un coma ’, vous n’en vendrez que quelques centaines, alors que, si vous glissez le Paradis et l’Après-vie en couverture, vous allez multiplier les ventes par cent ou mille. Allez, il s’est probablement laissé baratiner par son éditeur. Ce n’est ni le premier ni le dernier, ne lui jetons pas la pierre. Mais tout de même, il a fallu que ce dernier soit convaincant. Car la mort est connue comme un état définitif, dont par définition l’on ne revient pas. Et qui le sait mieux qu’un médecin, qui la côtoie quotidiennement ?

Les EMI sont une énigme pour la science. Elles remettent en question beaucoup de certitudes, suscitent des réactions épidermiques, et sont à l’origine de nombreuses polémiques. La moindre des choses, si l’on veut qu’un jour elles soient prises au sérieux et étudiées avec le respect et l’intérêt qu’elles méritent, serait d’éviter de jeter de l’huile sur le feu ou de fournir d’emblée un bâton pour se faire battre. Leur contenu, leur cohérence, leur signification profonde, laissent évidemment penser que la vie telle que nous la connaissons pourrait bien n’être qu’une parenthèse dans quelque chose d’immensément plus vaste. Un quelque chose dans lequel la vie prendrait toute sa signification. Si un jour il s’avère que tel est bien le cas, tout ce que nous croyons savoir sur la conscience, sa nature et sa place dans l’univers serait bouleversé. Mais si l’on doit passer du domaine de la métaphysique à celui de la science, cela ne pourra se faire qu’avec la plus grande rigueur.

 

L’exploration des EMI ne peut donc en négliger cet aspect, mais a-t-on pour autant le droit de parler d’après-vie quand on est bien vivant pour en parler, et donc que l’on n’est – par définition – jamais mort ? Étonnant donc qu’un médecin et neurochirurgien ne prenne pas plus de précautions, surtout s’il désire, comme il le prétend, être entendu de la communauté scientifique et médicale à laquelle il appartient. Mais bon, allons voir plus loin que la couverture, qui n’est là que pour faire vendre. Le reste du livre doit certainement être plus intéressant. Malheureusement, la majeure partie des 237 pages du livre est consacrée à de nombreux retours en arrière sur la biographie de l’auteur et au vécu de sa famille pendant son coma. Son expérience, elle, n’occupe qu’un peu plus d’une vingtaine de pages.

En résumé, il s’agit de multiples allers-retours entre plusieurs ‘mondes’ : un état plutôt désagréable et angoissant, qu’Eben Alexander appelle ‘ le Monde Vu du Ver de terre ’, baigné par un inquiétant son de martèlement, une odeur intermédiaire entre celles du vomi, des excréments et du sang, des visages grotesques d’animaux grognant en sortant de la boue… Puis une ‘Mélodie Tournoyante’ accompagnée d’une lumière qu’il traverse pour se retrouver sur une aile de papillon, accompagné d’une jeune femme avec qui il survole un monde extatique fait de paysages enchanteurs habités de personnages dansants et chantants. Et enfin le ‘Cœur’, baigné d’un chant glorieux, où il reçoit des réponses instantanées à ses questions, et finit par s’approcher de DIEU…

Pendant sa semaine de coma, Eben Alexander a certainement frôlé la mort de près, et les souvenirs qu’il a ramené de cet état peuvent donc, techniquement, entrer dans la catégorie des EMI. Mais il s’agit d’une expérience pour le moins étrange, que l’on pourrait qualifier au minimum d’atypique.

J’ai recueilli en 25 ans plusieurs centaines de témoignages d’Expériences de Mort Imminente, et quoi qu’il en dise, celle du Dr Alexander ne ressemble à aucune d’entre elles. Certaines de ses caractéristiques peuvent s’approcher de ce que l’on appelle une EMI ‘transcendante’, mais si l’on admet qu’il a bien vécu une expérience de ce type, ses souvenirs sont manifestement amalgamés à des perceptions hallucinatoires, qui n’ont d’ailleurs rien d’étonnant dans un tel coma.

Le même phénomène est d’ailleurs à l’origine d’une bonne partie des EMI qualifiées de négatives, voire même d’infernales’. Ces dernières sont en fait, après analyse, soit de purs souvenirs hallucinatoires de coma, en général angoissants et similaires à ce qu’Eben Alexander appelle ‘le Monde Vu du Ver’, soit parfois des EMI authentiques mêlées à de tels souvenirs. Les livres farfelus ou délirants sur les EMI ne manquent pas, mais ils sont le plus souvent confidentiels. L’expérience d’Eben Alexander, elle, reçoit énormément de publicité, fait le tour du monde et est présentée comme emblématique des EMI. Ce qu’elle n’est absolument pas.

Tout cela ne risque pas de contribuer à faire prendre ces expériences au sérieux. Bien au contraire, on peut supposer que les tenants d’une hypothèse hallucinatoire vont boire du petit lait et s’en désintéresser définitivement. Quant aux médecins et/ou scientifiques touchés par la publicité faite autour de l’expérience d’Eben Alexander qui se décideraient à aborder le sujet des EMI en lisant ce livre et sans point de comparaison avec ce que sont en réalité la majorité de ces expériences, leur opinion sera aussi vite faite.

Un neurochirurgien fait une méningite bactérienne… Qui va être mieux soigné, exploré et ré-exploré que lui, d’autant que les médecins qui l’ont traité sont ceux avec qui il travaille habituellement ! Il a donc dû subir plusieurs scanners et IRM, afin de suivre l’inflammation de ses méninges et de surveiller l’éventuelle apparition d’une encéphalite, d’une nécrose ou d’un abcès cérébral. Ainsi, évidemment, que des électroencéphalogrammes, pour contrôler l’état de son cortex… Déception, beaucoup de généralités mais pratiquement pas un mot qui soit précis et réellement sérieux là-dessus. Ce serait pourtant la moindre des choses quand l’on prétend apporter des preuves.

Certes, il s’agit d’un ouvrage destiné au grand public, qui pour l’auteur ne s’intéresse probablement pas à de tels ‘détails’ (qui n’en sont pourtant pas !). Mais si l’on ne veut pas ennuyer le lecteur avec des détails superflus, il est d’usage de rajouter un chapitre ou un addendum à la fin du livre, où l’on donne les précisions techniques et médicales auxquelles les chers confrères sont en droit de s’attendre. Si l’on veut susciter leur intérêt, il s’agit même là du passage le plus important du livre.

En revanche, les amalgames, imprécisions et contradictions ne manquent pas :

Le Dr Alexander reproduit à la fin de son livre un certificat dans lequel le Dr Scott Wade, qui l’a soigné, parle de méningite bactérienne. Les méninges sont les membranes qui entourent et protègent le cerveau. Leur inflammation et/ou leur infection par une bactérie est certes très grave, mais elles ne sont ni le cerveau ni le cortex, qui est la partie externe de ce dernier et est le siège de ses activités les plus élaborées. Une atteinte infectieuse ou inflammatoire du cerveau et du cortex cérébral est une encéphalite, affection que le certificat du Dr Wade ne mentionne à aucun moment. Ce qui n’empêche pas le Dr Alexander de parler de la ‘bactérie qui attaquait son cerveau (et) avait probablement dévoré suffisamment de (son) cortex pour compromettre (ses) fonctions cérébrales supérieures’. Il affirme à plusieurs reprises qu’il se trouvait dans un état équivalent à une mort cérébrale, impliquant que son cortex cérébral n’était plus le siège d’aucune activité, et en conclut que son néocortex, envahi par E. coli, ne pouvait pas produire d’hallucinations.

 

Le coma et la crise d’épilepsie dont parle le Dr Alexander montrent que son cortex a probablement souffert à cause de l’inflammation des méninges qui sont censées le protéger. Pour éviter de graves complications, il est d’usage dans un tel cas de protéger le cerveau en plongeant le patient dans un coma artificiel (par exemple en lui administrant des barbituriques). Mais il ne parle à aucun moment d’une encéphalite, ce qui est heureux car une infection bactérienne du cerveau lui aurait très probablement laissé des séquelles neurologiques irréversibles. On n’a (malheureusement) jamais vu de cortex repousser après avoir été ‘dévoré’ par une bactérie. Si son cortex a souffert, c’est probablement de troubles circulatoires, d’œdème et d’inflammation, tous pouvant générer une activité désordonnée, mais certainement pas une absence totale d’activité.

Tout cela n’est pas très clair et est manifestement écrit pour un public dont le Dr Alexander n’a pas une très haute opinion. Découvrir que le vécu rapporté par Eben Alexander était très éloigné d’une EMI ‘classique’ et pouvait en grande partie être interprété en termes d’hallucinations m’a donc mis très mal à l’aise. L’interprétation qu’il en fait n’a pas arrangé les choses. Il parle certes de connaissance absolue, d’Amour Inconditionnel, de très beaux concepts que l’on rencontre dans les EMI.

L’auteur se définit lui-même comme non pratiquant, n’allant à l’église qu’à Pâques et à Noël. Pourtant, il apparaît au fil du livre que son expérience trouve un cadre idéal dans une interprétation religieuse. Tout au long du livre, on trouve ‘DIEU, le Créateur, la Source qui est responsable de la création de l’univers et de tout ce qu’il contient’, un DIEU qu’il décrit comme personnifié, omniscient et omnipotent, qui rappelle celui que le catéchisme enseigne aux enfants, et est doté de qualités et sentiments humains magnifiés. En fait, il utilise un vocabulaire créationniste et interprète tout ce qui peut l’être dans son expérience dans une optique religieuse.

Personne ne peut juger de croyances ou de foi, ce sont affaires privées auxquelles tout le monde a droit, y compris un neurochirurgien. Je ne me permets donc nullement de juger Eben Alexander sur ce plan-là, mais je trouve extrêmement regrettable qu’il puisse parler de preuves et de science tout en interprétant son expérience dans un contexte clairement religieux. Mêler science, croyance et religion me semble une démarche obscurantiste, qui ne peut que nuire profondément à la ‘cause’ des EMI qu’il prétend défendre. En fait, pour être honnête, plus j’avançais dans la lecture de ce livre, plus je me demandais s’il ne s’agissait pas d’un canular : Eben Alexander va un jour ou l’autre faire une sorte de coming out, en disant : ‘Je vous ai bien eus ! On peut vous faire avaler n’importe quoi’.

Ou d’une tentative de désinformation montée de toutes pièces par des ultra-sceptiques particulièrement rusés, visant à ridiculiser les EMI en général et avec elles celles et ceux qui les ont vécues. Ou d’une tentative des fondamentalistes créationnistes d’utiliser une fois de plus les EMI pour essayer de justifier des croyances dogmatiques, celles précisément que la majorité des expérienceurs réfutent. Le tout remplissant d’aise le petit monde qui fait du commerce autour des EMI, qui avait enfin trouvé un porte-parole charismatique. Ou enfin, simplement d’un énorme courage – il en faut quand on est neurochirurgien, pour raconter un tel vécu en sachant d’avance les réactions que l’on va susciter – doublé d’une foi inébranlable et d’une incroyable naïveté.

Je ne sais pas. Eben Alexander dit avec humanité beaucoup de choses touchantes, certes. Je le suppose honnête quand il relate son expérience. Ce qui me gêne, c’est tout autant son interprétation qui semble être du prosélytisme religieux, que l’utilisation qui en est faite, présentant comme EMI typique une expérience qui en est loin.

Tout cela risque de faire passer pour hallucinatoires des centaines d’expériences qui ne le sont manifestement pas dès lors qu’on les regarde de près. J’essaie depuis plus de 25 ans de montrer l’intérêt des EMI pour la connaissance, aussi bien sur le plan humain et éthique que sur le plan scientifique. Ces expériences peuvent nous apprendre beaucoup sur la conscience, sa nature et sa place dans l’univers. Mais cela ne deviendra possible que si le monde scientifique peut constater par lui-même qu’il s’agit d’un phénomène cohérent et consistant, indépendant de toute croyance préalable (ce qui en est même l’une des caractéristiques essentielles !), digne d’être pris au sérieux et étudié avec le respect dû à toute expérience humaine.

Une dernière chose me met très mal à l’aise à la lecture de ce livre : depuis toutes les années que j’essaie de contribuer à l’étude des EMI, j’ai pu remarquer que la majorité des personnes qui ont vécu une expérience profonde ont beaucoup de difficultés à en parler. Elles gardent par devers elles ce qui est pourtant la plus belle expérience de leur vie, presque comme quelque chose de honteux. Elles restent très discrètes, par modestie, par peur de ne pas être comprises, par refus de devenir des gourous, par manque de mots et de concepts pour faire partager leur vécu à leurs contemporains. Et quand elles arrivent à en parler, leur préoccupation n’est ni DIEU, ni la mort, ni la vie éternelle ni l’après-vie, mais l’Amour et la Vie tout court. La Vie, qui semble prendre un tout autre sens quand elle est mise en perspective et cesse d’être vue depuis le mauvais bout de la lorgnette. La seule chose donc que je sache maintenant, c’est que nous venons de faire un bond gigantesque.

Un bond de 10 ou 20 ans.

En arrière. ” (J.-P. Jourdan)

Lisez la 27ème partie de cet article
 
 

yogaesoteric

13 janvier 2020



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