Les outils de l’Île de Pâques suggèrent l’existence d’une société coopérative complexe

 

Les célèbres statues de pierre de Rapa Nui ont été conçues avec des outils qui indiquent un degré de complexité surprenant au sein de cette mystérieuse société antique.

 
La géologie des outils en pierre utilisés pour construire les statues de l’Île de Pâques fournit des indices fascinants sur une culture ancienne.

La lointaine Île de Pâques, connue localement sous le nom de Rapa Nui, se trouve à 3700 kilomètres de la côte pacifique du Chili. Ce lieu mystérieux est connu pour ses statues de pierre géantes. L’histoire veut que des marins polynésiens aient construit ces têtes énormes et aient entraîné la disparition de leur propre société du fait de querelles internes et de l’épuisement des ressources naturelles de l’île.

Cependant, une nouvelle étude publiée dans le Journal of Pacific Archaeology suggère que la véritable histoire de cette civilisation ancienne située à l’avant-poste extrême-oriental de la Polynésie est plus complexe. En analysant la composition chimique des outils utilisés pour construire les sculptures, les archéologues ont découvert des preuves d’une société sophistiquée où les gens partageaient des informations et collaboraient entre eux.

« Pendant longtemps, les gens se sont interrogés sur la culture à l’origine de ces statues très importantes », explique Laure Dussubieux, scientifique au Field Museum of Natural History de Chicago et membre de l’équipe de recherche. « Cette étude montre comment les gens interagissaient. Cela nous aide à réviser la théorie. »

« Il se peut que la théorie de la concurrence et d’un effondrement sur l’île de Pâques soit exagérée »,ajoute Dale Simpson, auteur principal de l’étude et archéologue à l’Université du Queensland, en Australie. « Pour moi, l’industrie de la sculpture sur pierre est une preuve solide de la coopération entre les familles et les groupes d’artisans. »

Les premiers colons sont arrivés sur l’île vers 1200 ap. J-C.

« Selon la tradition orale, la population fondatrice se composait de deux pirogues dirigées par le premier chef de l’île, Hotu Matu’a », explique Simpson. À son apogée, la population de l’île s’élevait à des dizaines de milliers de personnes, formant la société complexe qui sculpta les statues qui l’ont rendue célèbre.

Ces statues, ou moai, sont des figurines au corps entier qui ont été partiellement enterrées au fil du temps, d’où leur surnom populaire « Têtes d’Île de Pâques ». Les statues, qui se montent à près d’un millier, représentent des ancêtres importants du peuple des Rapa Nui ; la plus grande mesure plus de 20 mètres de haut.

Selon Simpson, la taille et le nombre des moai suggèrent une société complexe. « Les anciens Rapa Nui avaient des chefs, des prêtres et des guildes d’ouvriers qui pêchaient, cultivaient la terre et construisaient les moai », dit-il. « Il devait y avoir un certain niveau d’organisation sociopolitique, pour pouvoir sculpter près d’un millier de statues. »

Dans la carrière de statues située dans la région de Rano Raraku, quatre statues ont été mises au jour par Jo Anne Van Tilburg, de l’Institut d’archéologie de Cotsen à Los Angeles, aux États-Unis, et son équipe d’archéologie Rapa Nui. Pour mieux comprendre la société à l’origine de leur création, Simpson, Dussubieux et Van Tilburg ont examiné près de 21 outils en pierre (on en compte environ 1600) récupérés lors des fouilles menées par Van Tilburg.

Pour Van Tilburg, l’objectif du projet était de mieux comprendre la façon dont interagissaient les fabricants d’outils et les sculpteurs de statues, et donc le fonctionnement de l’industrie de la production de statues.

Les outils, également appelés toki, étaient constitués d’une pierre volcanique appelée basalte, et la composition spécifique d’environ la moitié de ceux qui ont été récupérés indique la manière dont ils étaient utilisés.

« Le basalte est une roche grisâtre dont l’aspect n’a rien de particulier, mais quand on regarde la composition chimique des échantillons de basalte provenant de différentes sources, on peut voir des différences très subtiles dans les concentrations des différents éléments », explique Dussubieux. « La roche de chaque source est différente en raison de la géologie de chaque site. »

« Nous voulions savoir d’où provenaient les matières premières utilisées pour fabriquer les artefacts […] Nous voulions savoir si les gens extrayaient ces matériaux près de chez eux. »

Il existe sur l’Île de Pâques au moins trois sources différentes utilisées par les Rapa Nui pour fabriquer leurs outils en pierre. Ces différentes carrières, les outils qui en sont issus et les déplacements entre les sites géologiques et les sites archéologiques mettent en lumière la société préhistorique des Rapa Nui.

Dussubieux a dirigé l’analyse chimique des outils de pierre. Les archéologues ont utilisé un laser pour couper de minuscules morceaux de pierre dans les toki, et un instrument appelé spectromètre de masse a été utilisé pour analyser les teneurs en différents éléments chimiques présents dans les échantillons.

Selon Simpson, les résultats indiquent que cette société nécessitait une coopération importante. « La majorité des toki provenaient d’un ensemble de carrières. Une fois que les gens avaient trouvé la carrière qui leur plaisait, ils n’allaient pas chercher plus loin », explique Simpson.

« Le fait que tout le monde utilisait un seul type de pierre laisse à penser qu’ils devaient collaborer. C’est pourquoi ils ont eu un tel succès – ils travaillaient de concert. »

Pour Simpson, cette preuve d’une collaboration généralisée contredit le récit populaire selon lequel les premiers Rapa Nui auraient épuisé leurs ressources naturelles et qu’une guerre civile les aurait plongés dans l’oubli. « Il y a tellement de mystère autour de l’île de Pâques, parce qu’elle est tellement isolée, mais sur l’île, les gens interagissaient énormément – et c’est toujours le cas aujourd’hui », dit-il.

Tandis que la société fut détruite à la suite de l’arrivée des Européens au XVIIIe siècle, la culture des Rapa Nui a perduré. « Il y a des milliers de Rapa Nui en vie aujourd’hui – la société n’a pas disparu », ajoute Simpson.

Cependant, Van Tilburg appelle à la prudence dans l’interprétation des découvertes de son équipe, et encourage une étude plus approfondie, admettant que le recours possible à la coercition dans les interactions entre les Rapa Nui ne peut pas être exclu. « L’utilisation quasi exclusive d’une seule carrière pour produire ces 17 outils soutient une vision de la spécialisation artisanale fondée sur l’échange d’informations, mais nous ne pouvons pas savoir à ce stade si l’interaction était collaborative. »

Outre l’introduction potentielle d’une perspective plus nuancée concernant l’histoire des Rapa Nui, Dussubieux note que cette étude est importante car elle offre un aperçu plus large du fonctionnement des sociétés en général.

« Ce qui se passe dans ce monde est un cycle, ce qui s’est passé dans le passé se reproduira », dit-il. « La plupart des gens ne vivent pas sur une petite île, mais ce que nous découvrons sur les interactions entre les personnes dans le passé est très important pour nous aujourd’hui, car ce qui façonne notre monde, c’est la façon dont nous interagissons. »

 

yogaesoteric
26 mars 2019

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