Pentagone Papers: quelques éclaircissements utiles

Le film de Steven Spielberg a permis à de nombreux spectateurs de découvrir ou de revenir sur une période bien lointaine voire historique pour tous ceux qui n’étaient pas nés en 1971 lorsque a surgi en pleine guerre du Vietnam l’affaire des « Pentagon Papers », la fuite organisée d’un énorme dossier secret sur la guerre du Vietnam.

 

Sur les documents eux-mêmes

Ni le New York Times (NYT) ni quelques jours après lui le Washington Post (WAPO) n’ont publié les 47 volumes des Pentagon Papers (PP) pour deux raisons :
– la première est qu’il n’entre pas dans les capacités d’un quotidien de publier 4000 pages d’un document, aussi sensationnel soit-il.
– la seconde c’est que le lanceur d’alerte Daniel Ellsberg n’a pas communiqué tous les documents laissant de côté des parties encore très fraiches, celles concernant des tentatives de négociation de Johnson avec le Nord Vietnam.

Cependant les lecteurs curieux ont pu disposer dès juillet 1971 de la version fournie par Daniel Ellsberg. Cette publication n’a pas posé de problèmes à son éditeur en raison de l’arrêt de la Cour Suprême.

D’autres versions ont suivi mais il a fallu attendre 2011 pour que la déclassification complète du dossier soit décidée permettant ainsi aux archives nationales une publication complète qui permet de comparer le texte définitif à celui des versions précédemment publiées mises en ligne parallèlement. Ce remarquable travail d’archiviste mérite d’être salué mais ce genre de publication utile pour l’historien n’a pas vocation à être un grand succès de librairie.

Sur le film de Steven Spielberg

Il héroïse Katherine Graham la propriétaire du WAPO. Elle va en effet finir par passer outre l’interdiction judiciaire qui a contraint le NYT à interrompre la publication des PP. Le WAPO poursuit donc la publication (de quelques extraits importants comme le NYT pour les raisons indiquées plus haut) et va faire basculer la Cour suprême dans une période où l’opposition populaire à la guerre est forte. Cette héroïsation est très opportune et le film prend bien sa place dans la campagne féministe en cours.

Le décès du grand journaliste indépendant Robert Parry a donné l’occasion au réalisateur OLIVER STONE de souligner que le WAPO et sa propriétaire n’ont pas toujours par la suite été aussi engagés et courageux et il cite le cas de l’IRAN CONTRA GATE (Reagan vend en sous-main des armes à l’ennemi iranien et l’argent ainsi obtenu sert à financer l’opposition terroriste – les Contras – au régime sandiniste légal au Nicaragua).

Dans ce cas le WAPO fait silence et OLIVER STONE note qu’au moment où elle aurait pu révéler des faits cachés et très graves dont elle avait connaissance, Katherine Graham avait passé le week-end avec HENRY KISSINGER, grand organisateur du coup tordu. Ceci renvoie dans le film à la scène où Katherine Graham en tête à tête avec Robert Mac Namara, secrétaire à la Défense de1961 à 1968 (présidences Kennedy et Johnson) dont elle est une familière voire une amie lui reproche d’avoir fait préparer les PP et d’avoir laissé continuer une guerre qu’il considérait, documents à l’appui, comme ingagnable.

Ces deux anecdotes démontrent le lien étroit, un lien de classe extrêmement fort entre les patrons des grands journaux étasuniens et l’exécutif y compris dans son caractère de domination mâle.

Le film souligne également qu’à l’époque l’establishment étasunien et même ses couches les plus élevées détestent le républicain Richard Nixon qu’il considère comme un voyou : « Tricky Dick », « Dick le tricheur » et que sa manœuvre crapuleuse contre le parti Démocrate va faire tomber. Comme il fallait s’y attendre le film s’achève sur l’annonce du Watergate.

« Nixon le tricheur » n’est pas tombé pour avoir désindexé le dollar de l’or, tricherie historique de portée mondiale, ni pour avoir enseveli le Cambodge sous les bombes sans l’accord du Congrés, ni pour avoir organisé en sous-main avec Kissinger le coup d’Etat contre Allende. Non, il est tombé à l’issue d’une querelle de clans au sein de la très grande bourgeoisie étasunienne. Sa chute nourrit certainement les rêves actuels du clan Obama – Clinton dans leur acharnement contre Trump.

Sur Spielberg

PP est un film bien construit avec ce qu’il faut de suspense et qui fait pénétrer dans le monde fermé de cette très grande bourgeoisie impérialiste : accueil du WAPO à la bourse de New-York, soirées mondaines, maisons luxueuses, serviteurs dévoués.

Il n’est pas inconvenant de souligner qu’à l’inverse d’Oliver Stone Steven Spielberg est très proche de ce monde-là et que sur des sujets autres que la guerre du Vietnam, guerre impopulaire qui a fait vaciller le pouvoir impérial, « blanchi » ensuite transitoirement par le pasteur Jimmy Carter, l’impérialisme a vite repris, toutes ses mauvaises manies guerrières avec Reagan, HW Bush … bien qu’il ait depuis choisi des adversaires beaucoup plus faibles, le réalisateur du film PP est aussi un soutien sans faille du régime sioniste. Ainsi en 2006 il a fait un don personnel d’un million de dollars à Israël pour l’agression de Gaza et l’a fait savoir.

D’autres dénonciations de la politique impériale

Comme a été évoqué dans le bulletin 360 (reproduit in fine) deux ans après l’épisode des PP deux universitaires étasuniens Noam Chomsky et Edward S. Herman publient un livre intitulé « Counter-Revolutionary Violence: Bloodbaths in Fact and Propaganda » (Violence contre révolutionnaire : bains de sang dans les faits et dans la propagande).

Ils parlent bien sûr de la guerre du Vietnam et renvoient à plusieurs reprises aux PP dans la version publiée à l’époque mais ils montrent surtout que les Etats-Unis déploient en permanence depuis 1945 une intense activité contre-révolutionnaire cachée et s’attardent dans ce livre sur de nombreux cas : Indonésie, Cambodge, Thaïlande …

On est au début de 1974, Nixon encore au pouvoir, est informé de la sortie du livre et demande de supprimer certains passages. Le livre n’est donc pas interdit mais son éditeur, un petit éditeur qui n’a pas l’entregent des gérants du WAPO et du NYT prend peur d’éventuelles poursuites judiciaires et ne le publie pas.

Chomsky et Herman reprendront ce livre en 1979 et en feront la première partie d’un livre publié sous un titre moins explicite que dans la version de 1974.

« The Washington Connection and Third World Fascism (The Political Economy of Human Rights – Volume I) »

La seconde partie intitulée : « After the Cataclysm, The Political Economy of Human Rights: Volume II » publiée par un petit éditeur sera mal reçue car expliquant que l’apparition des khmers rouges et de leurs excès était la conséquence du ravage du pays par des années de bombardements massifs, incessants du Cambodge par l’aviation US, elle va à l’encontre d’une lecture de la dictature de Pol Pot encore en vigueur de nos jours qui efface tous les évènements l’ayant précédé. Faut-il rappeler que l’aviation US a déversé 550.000 tonnes de bombes sur le pays qu’elle a infesté la campagne de mines aidée en cela par le régime fantoche de Lon Nol et que 50 ans après le déminage du pays est encore loin d’être achevé.

En 1979 sous Carter l’impérialisme étasunien est entré dans une nouvelle époque : plus d’engagements massifs de l’armée US, plus de body bags enveloppés dans la bannière étoilée par milliers, nous voici revenus à la rubrique « COUPS D’ETAT, AS USUAL ». Elle n’est pas encore close !

La version française est publiée en 1981 par les éditions Jean Edern Hallier sous le titre « Economie politique des droits de l’homme ».

yogaesoteric

9 juin 2018 

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