« Le monde moderne dans le piège de l’hyper-réalité »

L’hyperréalité caractérise la façon dont la conscience interagit avec la réalité. Tout particulièrement, quand la conscience perd sa capacité à distinguer la réalité de l’imaginaire et commence à s’engager avec ce dernier sans comprendre ce qu’il fait, elle s’introduit alors dans le monde de l’hyperréel. La nature du monde hyperréel se caractérise par une amélioration de la réalité. Jean Baudrillard, Daniel Boorstin, Albert Borgmann et Umberto Eco sont de célèbres théoriciens de l’hyperréalité. Selon Baudrillard, le monde dans lequel nous vivons a été remplacé par une copie du monde, nous y recherchons des stimuli simulés et rien de plus.

 

Jean Baudrillard – Sociologue et philosophe

Simulacre et simulations

Il est vain de tenter de résumer l’œuvre de Baudrillard en quelques lignes, mais on pourra ici au moins s’essayer à une définition des termes simulation et simulacre.

La simulation se veut l’expérience du réel à travers ce qui nous en est rapporté (soit l’essentiel de l’expérience du réel tel que la vit un sujet contemporain), le simulacre en étant la représentation figurée (l’objet, l’image). Selon Baudrillard, les sociétés se sont à ce point reposées sur ces simulations, se sont à ce point constituées sur la base de ces signes de la réalité, qu’elles en ont perdu le contact avec le monde réel. Le simulacre, d’abord reconnu comme représentation du réel, s’est vu multiplié, systématisé par l’avènement industriel, contribuant à brouiller les repères entre l’image et ce qu’elle représente (ce qu’elle simule), jusqu’à ce que, « dans la société post-moderne, le simulacre ne finisse par précéder et déterminer le réel. »

« Il ne s’agit plus d’imitation, ni de redoublement, ni même de parodie, mais d’une substitution au réel des signes du réel, c’est-à-dire d’une opération de dissuasion de tout processus réel par son double opératoire, machine signalétique métastable, programmatique, impeccable, qui offre tous les signes du réel et en court-circuite toutes les péripéties. » (Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation – Galilée 1981)

« Valeurs signes » et société de consommation

Plusieurs aspects de l’hyperréalité peuvent être pensés comme une « réalité par proxy ». Par exemple, un amateur de films X vit dans le monde non-existant de la pornographie. Même si celle-ci n’est pas une description précise du sexe, pour les personnes qui les regardent, la réalité de l’amour devient quelque chose de non-existant.

Autre exemple : le M de McDonalds crée un monde avec la promesse d’une quantité sans fin de nourriture identique. En réalité, le M ne représente rien : la nourriture produite n’est ni infinie ni identique.

Les objets de consommation ont une valeur-signe, ce qui signifie qu’ils indiquent quelque chose au sujet du propriétaire, dans le contexte d’un système social (voir Baudrillard). Par exemple, un roi qui porte une couronne utilise celle-ci comme un signe indiquant qu’il est le roi (alors que dans la réalité, elle est dénuée de sens). La valeur-signe n’a pas de sens inhérent ou de valeur au-delà de ce qu’il convient. Ainsi, par exemple, les bijoux de la couronne ne valent rien jusqu’à ce que quelqu’un soit d’accord pour les vendre pour tant de diamants ou de pièces d’or. Alors que les valeurs-signes deviennent plus nombreuses, l’interaction devient de plus en plus basée sur des choses sans signification intrinsèque. Ainsi, la réalité devient de moins en moins importante, alors que l’échange des signes prend l’ascendant. Si des grains de sable sont mis un par un sur une table, à un certain moment arbitraire, les grains deviennent un tas de sable. De la même façon, quand la valeur-signe devient plus complexe, la réalité se transforme en hyperréalité et il devient alors de plus en plus difficile de distinguer ce qui est « réel ».

L’hyperréalité est significative comme paradigme éclairant la condition culturelle américaine. La consommation, parce qu’elle dépend de la valeur-signe (par exemple, une marque X montre que untel est à la mode, la voiture Y que untel est riche), peut être vue comme un facteur contribuant à la création de l’hyperréalité ou de la condition hyperréelle. L’hyperréalité trompe la conscience en la détachant de tout engagement émotionnel réel. A la place, elle opte pour des simulations artificielles et des reproductions sans fin d’apparences fondamentalement vides. Par essence (bien que Baudrillard lui-même s’opposerait à l’usage de ce mot), on trouve mieux l’épanouissement ou le bonheur dans la simulation et l’imitation d’un simulacre de la réalité, plutôt que confronté à une réalité « réelle ».

Lieux hyperréels
 

Un lieu hyperréel, tel qu’un casino à Las Vegas, donne au sujet l’impression qu’il marche dans un monde imaginaire où tout le monde est en train de jouer. Le décor n’est pas authentique, tout est copie, l’ensemble ressemble à un rêve. Le casino, en revanche, encaisse l’argent et ceci n’est pas un rêve, mais on est plus disposé à le dépenser lorsque la conscience ne comprend pas réellement ce qui se passe. Autrement dit, bien que l’on puisse intellectuellement comprendre ce qui se passe dans un casino, la conscience n’arrive pas à concevoir la réalité de l’argent dépensé dans ce monde si loin du réel. Il est dans l’intérêt des décorateurs d’accentuer le caractère non-authentique du lieu, de sorte que l’expérience entière semble fausse. Le casino s’enrichit en faisant de l’argent un objet dénué de valeur intrinsèque. Il y a quelques temps sortait une application qui représente ce qui se fait de « mieux » dans le domaine de l’Hyperralité et l’on s’aperçoit combien les fabricants rivalisent d’ingéniosité pour nous y enfermer. On pouvait lire ceci sur un site traitant d’actualité des mobiles :

Qui ne s’est pas déjà perdu à Disneyland ou a fait un grand détour pour aller de Frontierland à Adventureland? Soyez heureux, cela ne vous arrivera plus car la nouvelle application iPhone DisneyLand Paris est là pour vous aider. Outre un affichage du plan du parc, vous pourrez être guidé vers le point d’intérêt (POI) de votre choix (plus de 250) grâce à la réalité augmentée.

Et l’auteur poursuit : « je trouve l’idée sympa et on va voir de plus en plus d’applications de ce type et je pense surtout aux magasins/grandes surfaces. Il est toujours difficile de se repérer dans les rayons, acheter un paquet de pâtes devient un vrai parcours du combattant lorsque l’on ne connait pas l’endroit, et avec la réalité augmentée on pourrait enfin être guidés facilement (rappelez-vous des prototypes de caddies avec écran intégré) et pour les vendeurs un plus énorme : Mise en avant de promotions, proposition de produits similaires, … Les années à venir sont prometteuses. »

Effectivement tout est fait pour que nous évoluions comme un poisson dans l’eau ou plutôt dans un aquarium puisque bien évidemment tout est fait pour que nous restions dans les chemins balisés.

Le sexe : une réalité non assumée ?

L’amour, la haine, etc…, ne sont pas en nous mais provoqués intentionnellement de l’extérieur. Nous croyons que c’est nous. Il en va de même pour le sexe qui est, avec l’argent, l’éducation et la politique, l’outil de contrôle principal. La progression de la pornographie, par la télévision et internet, est récente… les plus jeunes sont touchés, et très tôt dans les écoles, la question est abordée alors que les enfants ne comprennent pas même de quoi il s’agit. Le sexe occupe nos esprits, nous le voyons partout, nous en parlons et en pensons tout le temps. Or, tout est faux, le plaisir est « programmé » (mind control). Le « point G »… est entre le compas et l’équerre.

De plus en plus d’informations de moins en moins de sens

Selon Jean Baudrillard, « Nous sommes dans un univers où il y a de plus en plus d’information, et de moins en moins de sens.

Trois hypothèses :
– ou l’information produit du sens (facteur néguentropique), mais n’arrive pas à comprendre la déperdition brutale de signification dans tous les domaines.
– ou l’information n’a rien à voir avec la signification. C’est autre chose, un modèle opérationnel d’un autre ordre, extérieur au sens et à la circulation du sens proprement dit.
– ou bien, au contraire, il y a corrélation rigoureuse et nécessaire entre les deux, dans la mesure où l’information est directement destructrice, ou neutralisatrice du sens et de la signification. La déperdition du sens est directement liée à l’action dissolvante, dissuasive, de l’information des media et des mass-média.

C’est l’hypothèse la plus intéressante, mais elle va à l’encontre de toute acception reçue. Partout la socialisation se mesure par l’exposition aux messages médiatiques. Est désocialisé, ou virtuellement asocial celui qui est sous-exposé aux media. Partout l’information est censée produire une circulation accélérée du sens, une plus-value de sens homologue à celle, économique, qui provient de la rotation accélérée du capital. L’information est donnée comme créatrice de communication, et même si le gaspillage est énorme, un consensus général veut qu’il y ait cependant au total un excédent de sens, qui se redistribue dans tous les interstices du social (…). Nous sommes tous complices de ce mythe. C’est l’alpha et l’oméga de notre modernité, sans lesquels la crédibilité de notre organisation sociale s’effondrerait. Or, le fait est qu’elle s’effondre, et pour cette raison même. Car là où nous pensons que l’information produit du sens, c’est l’inverse.

L’information dévore ses propres contenus. Elle dévore la communication et le social, et ceci pour deux raisons :

1. Au lieu de faire communiquer, elle s’épuise dans la mise en scène de la communication. Au lieu de produire du sens, elle s’épuise dans la mise en scène du sens. Gigantesque processus de simulation que nous connaissons bien. L’interview non directif, la parole, les téléphones d’auditeurs, la participation tous azimuts, le chantage à la parole : “ Vous êtes concernés, c’est vous l’événement, etc. ” De plus en plus l’information est envahie par cette sorte de contenu fantôme, de greffe homéopathique, de rêve éveillé de la communication. Agacement circulaire où on met en scène le désir de la salle, anti-théâtre de la communication, qui, comme on sait, n’est jamais que le recyclage en négatif de l’institution traditionnelle, le circuit intégré du négatif. Immenses énergies déployées pour tenir à bout de bras ce simulacre, pour éviter la dissimulation brutale qui nous confronterait à l’évidente réalité d’une perte radicale du sens.
[…]

2. Derrière cette mise en scène exacerbée de la communication, les mass-média, l’information au forcing poursuivent une irrésistible déstructuration du social. Ainsi l’information dissout le sens et dissout le social, dans une sorte de nébuleuse vouée non pas du tout à un surcroît d’innovation, mais tout au contraire à l’entropie totale. Ainsi les media sont effecteurs non pas de la socialisation, mais juste à l’inverse de l’implosion du social dans les masses. Et ceci n’est que l’extension macroscopique de l’implosion du sens au niveau microscopique du signe. »

La routine du monde « moderne » et ses habitudes
 

Est-il normal d’aller au tribunal pour ne pas avoir attaché sa ceinture de sécurité pour sa propre vie ? D’avoir des points… que certains même, achètent et vendent… des points d’un papier contre d’autres papiers ! Est-il normal de regarder la météo ? Est-il normal d’avoir peur de la pluie, même si l’on est en train de nager dans la mer… est-il normal d’aller se protéger de la pluie alors que l’on sait que dans l’eau… on est mouillé ? Nous payons la douche… tandis que la pluie est gratuite… et nous achetons un parapluie ! Est-il normal de trouver un quelconque bonheur à cette vie ? Car il n’y a aucun plaisir, seulement la croyance au plaisir ! Est-il normal de ressentir de la tristesse si « Noël n’est pas réussi » ? Est-il normal de considérer cela comme réel ? Noël qui doit évidemment tomber exactement le 24 à minuit… pas le 23 ou le 25 ! Est-ce normal de devoir acheter des cadeaux à cette occasion, puisque tout le monde le fait ? Est-ce normal de ne jurer que par le tic-tac de la montre ? Papier, religion, sexe et télé ! Tout est illusion, tout cela ne sert à rien, que l’on vive 10 ou 100 ans… Qu’aimons-nous dans la vie ? Puisque nous dormons 8 heures et travaillons 8 heures, il y a peu de chances que nous répondions « dormir » ou « travailler ». Alors pourquoi ne faisons-nous pas ce que nous aimons 24h/24 ? Et pourquoi, à midi pile, nous avons faim lorsqu’il « faut » manger ? « Il faut que j’y aille, c’est ma pause ! » Pourquoi, dès qu’il fait froid l’on entend « Couvre toi ! » alors que la sensation de froid est toute relative et la plupart du temps implantée ? Pourquoi dit-on « le travail c’est la santé », « il n’y a pas de sot métier » ?

Exemples d’hyperréalité:
– Une boisson énergétique avec un parfum qui n’existe pas (« zeste de baies sauvages glacées »)
– La pornographie (plus sexe que le sexe lui-même)
– Un sapin de noël en plastique qui ressemble plus à un vrai sapin de noël
– La photo de magazine d’un top modèle qui a été retouchée par ordinateur
– Un jardin parfaitement taillé (naturel comme hyperréel)
– Toute version massivement promue de faits présents ou historiques
– La Guerre du Golfe, dans la mesure où l’Amérique l’a comprise : Baudrillard, en fait, prétend que la Guerre du Golfe n’a jamais eu lieu
– Beaucoup de villes et endroits du monde qui n’ont pas évolué en tant qu’endroits fonctionnels, mais avec une certaine base de réalité, comme s’ils étaient des créations ex nihilo : Disney World, Célébration en Floride ou encore Las Vegas.
– Télé et films en général, dû à la création d’un monde d’imagination et à la dépendance que le téléspectateur engage dans ces mondes imaginaires.
– Les programmes de « télé réalité » qui n’ont rien à voir avec la réalité.

Le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité – c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai.

 

yogaesoteric
21 juin 2017

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