Le scandale du diesel VW : guerre économique ou escroquerie ? (1)

 

L’auteur de ces lignes a passé 20 ans de sa vie professionnelle à travailler dans le domaine des émissions des véhicules à moteur et lorsque sont apparus les premiers rapports sur le sujet, il a pensé de bonne foi qu’il ne s’agissait là que de fausses accusations et en dernier lieu, d’une guerre économique menée contre l’industrie automobile allemande. Il se sentait conforté dans cette opinion par l’idée qu’il était « normal » que, sur le parcours routier habituel de véhicules dotés de moteurs puissants, les émissions de NOx soient, pour des raisons physico-techniques, en quantités plus élevées que celles relevées lors du test d’émissions, ce sur quoi s’accordent tous les experts. Il était également clair pour n’importe quel profane que lors d’une forte accélération le moteur d’un véhicule fasse « naturellement » et de façon caractéristique, plus de bruit. Cependant d’autres investigations tendaient de plus en plus à démontrer qu’une manipulation – pour ne pas dire une supercherie, ou tout au moins une démarche contraire à l’éthique de la part des ingénieurs et des dirigeants, y était également pour quelque chose.

Le déclenchement du scandale

Le tout premier rapport, celui qui a provoqué le « Dieselgate », le scandale du diesel VW, publié en mai 2014, était à l’initiative de l’ICCT (International Council on Clean Transportation), une organisation fondée 10 ans plus tôt à titre de réseau informel par des experts du domaine des émissions polluantes automobiles. Plus tard, celle-ci fut transformée en organisme de recherche indépendante à but non-lucratif, avec pour objectif le conseil et le soutien aux politiciens et aux législateurs en matière de pollution de l’environnement et d’émissions polluantes de la circulation automobile. Bien qu’essentiellement soutenu par des fondations américaines pesant des milliards, comme par exemple la Fondation Hewlett, la Fondation Packard, le Rockefeller-Brothers-Fund et en Europe la Fondation Mercator, les projets extra-américains sont principalement encouragés dans les pays en voie de développement et les pays nouvellement industrialisés comme la Chine et l’Inde.

Aux Etats-Unis, il y a déjà longtemps que l’ICCT, tout comme les services publics et les instituts de recherche scientifique européens, se préoccupe de comparer les résultats officiels des tests d’homologation des véhicules relatifs à la consommation de carburant et les émissions de CO2, en condition de fonctionnement réel de véhicules circulant sur les autoroutes et les routes secondaires, et d’en mesurer les effets en situation réelle. Dernièrement, il est devenu possible d’en faire autant pour l’émission de substances nocives telles les hydrocarbures, les particules fines et l’oxyde d’azote après la miniaturisation des appareils correspondants au point qu’il soit devenu possible d’effectuer les relevés des émissions des gaz d’échappement dans la rue à partir du coffre d’une voiture. Pour le compte de l’ICCT, l’Université de Virginie-Occidentale a effectué des mesures dans la rue et les a comparé avec les limites officiellement prescrites. Le résultat, publié le 15 mai 2014, a été transmis à l’EPA (Environmental Protection Agency = Agence américaine de protection de l’environnement) et au CARB. Il s’agissait de mesures d’émissions polluantes effectuées dans la circulation urbaine, sur des autoroutes et sur des routes de montagne, pour trois véhicules diesel, dont deux de marque VW et un de marque BMW. Les tests mettaient essentiellement en évidence, pour les véhicules VW, des émissions de NOx dont les niveaux étaient plusieurs fois plus élevés à ceux des mesures des tests officiels.

Cela éveilla la méfiance des autorités et VW, questionné sur les raisons du niveau élevé de ces émissions, s’est montré à l’évidence peu coopératif lors des discussions annexes avec les services publics et a cherché par tous les moyens, même par des mensonges flagrants et de fausses informations, à cacher les véritables raisons de ces considérables émissions de NOx.

En décembre 2014, VW a même « volontairement » procédé – et cela, bien plus dans un but de camouflage que de clarification – au rappel de 500.000 véhicules aux Etats-Unis, ce qui (selon VW), devait résoudre le problème mais n’arrangea toutefois pas vraiment les choses, comme les services publics durent le prouver aux représentants de VW. La source des problèmes, dissimulée par VW, n’était pas éliminée. Le directeur de VW de l’époque fut par la suite condamné aux Etats-Unis à 7 ans d’emprisonnement dans cette affaire. Vraisemblablement, on croyait qu’à la longue on pourrait laisser les autorités dans l’ignorance concernant les vraies raisons de l’augmentation des émissions polluantes.

Finalement, les agences spécialisées s’appliquant dans leur recherche de la vérité à des enquêtes et des mesures répétées et toujours plus complètes, ont soupçonné que seules des mesures d’optimisation du réglage des moteurs spécifiquement pour les tests pouvaient garantir les émissions les plus basses. On réalisa alors que les émissions augmentaient fortement et de façon inexplicable aussitôt qu’on les soumettait à des changements quasiment insignifiants des conditions de test tels une variation de la température ambiante ou de minimes modifications du cycle de conduite prescrit et lors de tests sur route. Ce comportement éveilla le soupçon auprès des autorités qu’une commande spécifique du moteur – désignée aux Etats-Unis sous l’appellation « defeat device » (Dispositif d’invalidation) – désactivait les mesures prises pour la réduction des émissions en dehors des conditions de test ou en réduisait les effets. Les discussions techniques destinées à clarifier les raisons de ces résultats inattendus se prolongèrent près de 18 mois sans résultats, jusqu’à l’automne 2015.

Ce n’est que lorsque les autorités américaines de protection de l’environnement menacèrent de ne plus autoriser la vente de nouveaux modèles VW pour 2016, que VW reconnut l’impensable, c’est-à-dire que les réglages de moteur avaient été optimisés par des moyens frauduleux pour le test d’émissions polluantes et qu’un dispositif d’invalidation avait été installé, ce qui provoquait au bout du compte, par rapport aux résultats des tests, des émissions de NOx en réalité bien plus importantes lors de l’utilisation normale des véhicules sur route. L’objectif de la législation sur les gaz d’échappement, le Clean Air Act aux Etats-Unis, était ainsi invalidé. Après d’autres examens et discussions, l’EPA, l’Agence américaine de protection de l’environnement, a, dans une lettre du 18/9/15 adressée à VW et Audi, formellement dénoncé la violation du Clean Air Act par la manipulation ciblée des tests d’émissions polluantes de leurs véhicules à l’aide d’un « dispositif d’invalidation » et en utilisant un logiciel apte à détecter le roulage sur banc de test lorsque le véhicule est soumis à un test officiel d’évaluation d’émissions. Finalement, les choses suivirent leur cours, également en Europe.

Ce « scandale » a de longs antécédents

Depuis qu’il existe des réglementations sur la limitation des émissions de gaz d’échappement, il y a eu des problèmes autour de l’interprétation de la législation sur les gaz d’échappement, ainsi que des reproches de manipulation. En 1973 déjà, des pénalités furent appliquées à ce propos pour la première fois. Les allégations administratives, concernant le contournement illégal de la loi aboutirent souvent au paiement de pénalités et à la demande de mesures correctives à la charge des fabricants automobiles. Dans une réglementation, il est difficile de faire une description claire des contextes techniques et physiques et des problèmes qu’ils entrainent. Le conflit est presque inévitable.

Un exemple classique est la discussion ayant eu lieu en 1995 au sujet d’un climatiseur dans les véhicules General Motors, déclenché pendant les tests d’émissions, mais causant des émissions élevées dès qu’enclenché dans les conditions normales de trafic routier. GM n’en avait pas fait mention et fut alors mis à l’amende. D’un montant de 44 millions de dollars, celle-ci était relativement modérée, tout comme dans de nombreux autres cas de fabricants européens ou américains.

En dehors des tests officiels, la législation antipollution ne fonctionne jusqu’à présent que dans des conditions de circulation routière normale et ouvre un large espace d’interprétation. Si on parle aujourd’hui dans la presse de « dispositif d’invalidation », la transition vers les ajustements technologiques nécessaires à l’état de fonctionnement est plutôt fluide. Les interprétations dans cette « zone grise » sont partiellement à la frontière du justifiable, il existe aussi bien entendu des manipulations grossières. Il est surprenant et caractéristique pour une problématique aussi complexe, que la preuve détaillée de la manipulation de VW par le biais de quelques lignes dans la programmation de la gestion du moteur ait d’abord été présentée lors d’une conférence au Chaos Computer Club à Hambourg.

Le « programmeur » qui exposa la preuve à partir du logiciel de son véhicule privé, notamment en « piratant » le logiciel de ce même véhicule, a fait un travail tout à fait compréhensible et a également témoigné plus tard devant le comité d’enquête du Bundestag allemand. C’est finalement grâce à son analyse qu’il a été confirmé que VW – sous prétexte d’atténuer les émissions sonores du diesel au démarrage à froid – a installé la « fonction d’acoustique » comme dispositif d’invalidation. Dès que la température environnante dévie des 20-30°C prescrits pour le test, les dispositifs permettant de diminuer les émissions sont coupés ou réduits, soi-disant pour éviter l’augmentation du bruit de roulement du moteur à froid. Il est évident également pour le profane que les températures annuelles moyennes sous nos latitudes d’environ 10°C n’atteignent pas si souvent les 20-30°C. Donc, les dispositifs pour la réduction d’émissions polluantes restent, la plupart du temps, éteints ou travaillent au ralenti. L’avantage ainsi obtenu est parfaitement banal. Le réservoir d’appoint supplémentaire qui contient les substances chimiques nécessaires dans le véhicule pour décomposer l’oxyde d’azote dans le gaz d’échappement, aurait dû, dans le cadre d’une utilisation correcte, être rempli plus souvent que dans les intervalles normaux d’inspection. On n’a pas voulu imposer cette perte de confort aux clients, croyant perdre ainsi des occasions de vente et des parts de marché.


Lisez la deuxieme partie de cet article 

 

yogaesoteric
19 avril 2018

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