Une science sans éthique : Allons-nous vers une nouvelle humanité ? (1)

 

«La science a fait de nous des dieux avant que nous soyons des hommes»
(Jean Rostand, biologiste)

Un scoop qui fait froid dans le dos ! Une équipe de neurochirurgiens, dirigée par le professeur Sergio Canavero, a annoncé avoir réussi à greffer une tête

On a démontré comment l’Homme était devenu une mécanique réparable, et que l’on peut même améliorer sa performance pour en obtenir un homme augmenté. Chacun se souvient que dans les années soixante-dix du siècle dernier le chirurgien sud-africain Chris Barnard avait ouvert « les hostilités » en greffant un cœur d’un homme dans le corps d’un autre ! Cette prouesse révolutionnaire fut saluée dans le monde entier.

C’était en effet l’ouverture d’un vaste champ de la chirurgie réparatrice amenant à « l’homme réparé », comme une voiture où on arrive graduellement à remplacer les pièces défectueuses reculant graduellement les limites de la mort. De proche en proche, après avoir changé graduellement toutes les parties du corps, la frontière entre la machine et l’homme se brouille. On produit alors un un Iron man, une sorte de Terminator. Après l’homme de plus en plus réparé, voici venir l’homme augmenté avec un certain nombre d’additifs qui boostent son intelligence. Et ces ajouts nous font basculer dans l’homme machine, le cyborg.

Changer de tête à la demande : l’avenir ?

Dans un article paru sur le journal Le Monde, Pierre Barthélémy rapporte une expérience troublante sur la mémoire : « Visant à fabriquer de nouveaux organes pour remplacer ceux qui se révèlent défectueux, la médecine régénératrice est un domaine en pleine expansion. Un domaine qui pose aussi des questions inattendues lorsqu’il touche au cerveau : pour les personnes souffrant d’une maladie neurodégénérative comme la maladie d’Alzheimer, qu’arrivera-t-il aux souvenirs stockés depuis l’enfance lorsqu’on repeuplera le cerveau avec des neurones tout neufs, issus de cellules souches ? Les informations seront-elles perdues comme des archives brûlées ou bien parviendront-elles à être conservées grâce à une sorte de mémoire dynamique en constant remodelage ? »

Une expérience fascinante rapportée dans le Journal of Experimental Biology (JEB) : « Une équipe de l’université Tufts (Massachusetts) a montré que quand on coupe la tête à un ver planaire… elle repousse et ne perd rien de sa mémoire antérieure. Cela pose de fait le problème de la localisation de la mémoire et de la définition du cerveau. Ce qui paraît étrange, le croyons-nous, dans cette expérience : est-ce que la mort n’a pas envahi le ver décapité ? Comment la vie du ver a-t-elle survécu dans la tête décapitée et transmise à l’autre corps ? A moins d’admettre qu’il existe “le souffle divin” véhiculé par des cellules souches aussi bien dans la “queue” du ver que dans la “tête”. La prouesse est double, non seulement la vie n’a pas disparu, mais de plus, la mémoire est transmise sans défaillance, ce qui relance, dans une certaine mesure, l’inné et l’acquis. »

Une transplantation de tête réalisée chez le singe

On rapporte qu’en 2016, des chirurgiens chinois ont procédé à la transplantation de la tête d’un singe sur un autre primate. C’est la première étape avant d’arriver à l’expérience sur l’homme. « Le singe aurait été maintenu en vie 20 heures. Selon eux, cette transplantation pourrait être appliquée à un homme tétraplégique ou souffrant d’une maladie génétique musculaire incurable. “C’est une vraie victoire pour l’humanité”, s’est félicité Sergio Canavero. L’opération a été principalement réalisée par le professeur Xiaoping Ren, chirurgien du Centre de microchirurgie et de la main, intégré au département d’orthopédie de l’université. En juin 2015, dans le Wall Street Journal, ce dernier affirmait avoir procédé à un millier de greffes de têtes chez les souris. Certaines pouvaient bouger la tête, respirer, ouvrir les yeux et même boire. Toutefois, aucune n’avait survécu plus de quelques minutes. »

Depuis 2013, le chirurgien italien a amélioré son protocole qui s’appelle Heaven (en pratique, les chirurgiens détachent les têtes en maintenant les circulations artérielle et veineuse au moyen de tubes en silicone. Puis ils raboutent la moelle épinière du corps du donneur (vivant, en état de mort cérébrale) avec celle de la tête du receveur au moyen d’une « colle chirurgicale » à base de polyéthylène glycol (un gel de synthèse) et de chitosane, un sucre issu de carapace de crustacé. Cette molécule est censée fusionner les fibres nerveuses (axones) sectionnées. Enfin, une stimulation électrique achève la reconnexion. Parallèlement, le cerveau serait protégé par un produit dont on ne révèle pas le nom.

« La réserve essentielle est évidemment d’ordre éthique, pense le professeur Alain Privat, également membre de l’Académie de médecine. Comment le receveur (la tête) va-t-il pouvoir s’approprier ce corps nouveau et sain, quand on voit les difficultés psychologiques qu’ont rencontrées les patients qui ont reçu de nouvelles mains et de nouveaux visages ? De plus, il y a là pour moi une atteinte à la personne, à l’identité, car celle-ci n’est pas uniquement “localisée” dans le cerveau. Je crains que ces chirurgiens ne soient dans la situation des physiciens atomistes dans les années 1930. Je crains aussi qu’on s’approche dangereusement du transhumanisme », poursuit le chercheur.



Sergio Canavero

Toutefois, il peut exister une autre manière de voir les choses. Ainsi, en juin 2015, Bernard Devauchelle, professeur de chirurgie maxillo-faciale à l’Université d’Amiens et auteur de la 1re greffe partielle de visage en France en 2005, sans nier l’aspect choquant d’une telle intervention, observait qu’elle pouvait se justifier dans quelques cas très précis. Comme « de venir en aide à un malade bénéficiant de toutes ses facultés cognitives, éprouvant sentiments et émotions, mais atteint d’une maladie héréditaire incurable. Le malade reçoit un “corps organe”, provenant d’un donneur volontaire, qui va, en quelque sorte, prolonger la vie d’un homme souffrant, voire permettre sa survie ».

Pourra-t-on un jour transplanter un corps humain ?

Le problème se pose différemment quand il s’agit de greffer une tête fonctionnelle sur un corps malade. Pour Bernard Devauchelle, professeur de médecine, auteur de la 1re greffe partielle de visage en France en 2005, « cette opération consisterait en fait à transplanter un corps sur une tête, et non pas l’inverse. Cela a son importance, car il s’agit bien de transplanter – et non pas de greffer, comme on le dit improprement – le corps d’une personne en état de mort cérébrale sur la tête d’une personne malade, atteinte d’une pathologie incurable. (…) » Devant les 150 spécialistes rassemblés au Congrès de l’Académie américaine de chirurgie neurologique et orthopédique qui vient de se tenir à Annapolis (Maryland), Sergio Canavero a assuré, qu’après de nombreux essais chez le rat, il savait ressouder les tissus nerveux de la moelle épinière au moyen d’une « colle biochimique », un mélange de polyéthylène glycol (un gel de synthèse) et de chitosane (un sucre issu de carapace de crustacé), le tout activé par un léger courant électrique.

« Le principe d’une telle intervention pouvant être très choquant pour une grande partie de la population, je pense qu’il faut replacer la question éthique dans son contexte. La justification d’une transplantation de ce type est de venir en aide à un malade atteint d’une maladie héréditaire incurable.

Un malade particulier en ce sens qu’il bénéficie de toutes ses facultés cognitives, qu’il éprouve des sentiments, des émotions… mais qu’il est très fortement handicapé par un corps défaillant, qui dégénère de jour en jour. La question devient alors : qu’est-ce que la vie quand on est pratiquement tétraplégique ? Au même titre que : qu’est-ce qu’une vie sans visage humain (défiguration accidentelle), question que je me pose pratiquement tous les jours. »

« Nous avons réalisé la première transplantation de tête humaine »

Le scoop le 17 novembre : coup de tonnerre ! L’équipe de Xiaoping Ren et Sergio Canavero a réalisé en Chine une transplantation de tête d’un donneur sur le corps d’un receveur, tous deux décédés. Une sorte de répétition générale avant de tenter l’intervention avec un patient receveur vivant. « La première greffe de tête humaine a été réalisée », a triomphé le neurochirurgien italien Sergio Canavero, lors d’une conférence de presse à Vienne le 17 novembre. « La chirurgie a duré 18 heures. Tout le monde disait que c’était impossible mais cela a été un succès. » L’équipe menée par le professeur chinois Xiaoping Ren de Harbin Medical University (Chine) va publier l’étude dans Surgical Neurology International. La publication détaille l’opération qui a consisté à transplanter, pour la première fois au monde, le corps d’un donneur (décédé) sous la tête d’un receveur, décédé également. Car cette opération baptisée chirurgicalement anastomose cephalosomatique (ACS) a été mise en œuvre sur deux cadavres.

Un véritable travail d’orfèvre pour tout reconnecter

Puis, la tête de l’un (receveur) a été reconnectée au corps de l’autre (donneur). Un véritable travail d’orfèvre fait d’anastomoses — sutures — des vaisseaux et des nerfs. Certains nerfs comme les nerfs phréniques qui innervent le diaphragme venaient du donneur. D’autres, comme le nerf vague qui part du cerveau du receveur, ont dû être rabouté à celui du corps pour innerver les organes. Les vaisseaux sanguins aussi ont été reconnectés un à un. Les auteurs précisant que la procédure sur un corps vivant (qui saigne) serait plus longue.

L’autre grand écueil de l’intervention était d’assurer la stabilité de la tête une fois reconnectée pour « assurer une fusion de la moëlle épinière réussie ». En fin d’opération une orthèse cervicothoracique a été mise en place. L’opération a duré 18 heures en tout de la première incision au dernier point de suture. Un succès ? Impossible à dire sur des patients décédés. « La description sur cadavre n’a rien d’exceptionnel. Technologiquement, c’est faisable », commente en effet Jocelyne Bloch, professeure de neurochirurgie au Centre hospitalier-universitaire de Lausanne, spécialiste des nouvelles techniques chirurgicales. « Les deux points, stabiliser la tête (par fixation standard de la colonne) et vasculariser tous les territoires du cerveau en continu sont en effet indispensables. Les techniques d’anastomoses des vaisseaux réalisées sont assez ingénieuses ».

Une sorte de répétition générale !

L’objectif ? Une sorte de répétition générale avant de tenter l’intervention avec un patient receveur vivant. « L’ACS est considérée comme la seule option thérapeutique pour un certain groupe de maladies neuromusculaires (comme la maladie de Duchenne ou la sclérose latérale amyotrophique, ndlr) qui jusqu’à présent sont incurables par d’autres moyens », affirment les auteurs en introduction. Selon eux, la connexion de la tête du malade à un nouveau corps, fonctionnel, pourrait leur offrir une chance supplémentaire. En effet, des patients comme Valery Spiridonov souffrant de la maladie de Werdnig-Hoffman, proche de la maladie de Charcot, se disent prêts à être volontaires. « Depuis trop longtemps, la nature nous a dicté ses règles, argumente le truculent Sergio Canavero. Nous sommes entrés dans un âge où nous pouvons prendre notre destin en main. Ça va tout changer. »

Répondant pied à pied aux critiques, l’équipe de Xiaoping Ren poursuit néanmoins son chemin en Chine. Selon leur évaluation, une ACS entière pourrait donc être conduite en moins de 36 heures, anésthésie et hypothermie incluses. « Nous pensons que quatre équipes de quatre chirurgiens est le nombre minimum pour mener à bien l’opération, concluent les chercheurs. Quand ? Pas avant la prochaine étape. Elle consiste à effectuer un échange de tête complet entre des donneurs d’organes en mort cérébrale mais cœur battant. »


Lisez la deuxième partie de cet article

 

yogaesoteric
15 avril 2018

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