Une science sans éthique : Allons-nous vers une nouvelle humanité ? (2)
Lisez la première partie de cet article
Greffe de tête : science et éthique
On peut comprendre que cela ne sera pas simple ! Mais la science avance d’une façon irrésistible. Vouloir l’en empêcher en soulevant des problèmes éthiques ne résiste pas à la réflexion. Trois réponses sont données ci-après, celle du Professeur Devauchemme qui, lui, pense que c’est possible et que cela ne pose pas de problème éthique si c’est un corps que l’on greffe sur une tête ; la neurochirurgienne Marike Broekman appelle à stopper l’expérience. Quant au Professeur Serges Canaveiro, son avis fait froid dans le dos, il déconstruit ce qui fait de nous humain !
Ainsi, pour le professeur Devauchelle, « il n’y a donc pas là de question éthique particulière. Le corps qui est transplanté est considéré comme un organe : c’est donc un “ corps-organe ”, provenant d’un donneur volontaire et qui va, en quelque sorte, prolonger la vie d’un homme souffrant, voire permettre sa survie. La personnalité, la spécificité, l’unicité de la personne receveuse sont conservées. Mais celle-ci devra s’approprier ce nouveau corps, au même titre qu’un transplanté cardiaque doit prendre conscience et accepter qu’il vît grâce au cœur d’un autre. D’une certaine manière d’ailleurs, il y a peut-être une charge symbolique plus forte encore dans la greffe d’un cœur, siège de l’âme, ou dans un visage, image de l’identité humaine, que dans celle d’un corps ».
La neurochirurgienne Marike Broekman, neurochirurgienne de l’Université d’Utrecht (Pays-Bas), actuellement à l’Ecole de médecine de Harvard (Etats-Unis), présidente de l’Ethico-Legal Committee of the European Association of Neurosurgical societies (EANS), est d’un avis contraire, elle lance un cri d’alarme. Cette intervention est contraire à l’éthique.
Elle déclare :
« Je suis très inquiète. Nous ne sommes prêts ni techniquement ni psychologiquement. C’est un de nos sujets de préoccupation au comité d’éthique de l’EANS. Il y a beaucoup trop de questions sans réponse (technique, biologique, éthique, psychologiques etc.) concernant la transplantation de la tête, procédure encore hautement expérimentale. La première des exigences de la recherche est d’apporter une amélioration de la santé ou des connaissances. »
« Je ne peux évidemment pas dire que c’est impossible mais il y a tellement de défis à relever… De plus, il y a des défis psychologiques, éthiques, sociaux, qui requièrent de l’attention avant une telle intervention. (…) Or, s’il existe des données partielles, il n’existe pas d’étude complète de transplantation de tête chez les animaux avec une survie à long terme plus une normalisation de la fonction neurologique. Pour cette raison, nous avons considéré à l’EANS que la transplantation de tête était contraire à l’éthique. (…) Pour que la recherche soit éthique, il faudrait que l’intervention ait un ratio bénéfice/risque positif. Je pense qu’il est bien trop tôt pour effectuer cette expérience dans un proche avenir. »
Interviewé par Sputnik, le chirurgien italien Sergio Canavero évoque le volet éthique, ainsi que d’autres aspects du projet. « Préparer un homme pour une greffe d’une partie du corps est en réalité beaucoup plus facile que pour une greffe du visage. Parce que notre visage est la façon dont nous nous percevons.
Lorsqu’à l’époque, la première greffe du visage a été évoquée, on soulignait que c’était impossible précisément pour des raisons psychologiques. En réalité, aujourd’hui, après 40 greffes de visage réalisées avec succès, nous savons que les patients s’adaptent à leur nouveau visage, le cerveau s’adapte », signale le médecin.
Le chirurgien évoque également les recherches concernant la greffe de cerveau, tout en précisant que ce type d’opérations est interdit en Italie. Selon Sergio Canavero, cela pourrait montrer que la conscience humaine ne se trouve pas dans le cerveau, ce dernier fonctionnant comme un filtre. En effet, le médecin est persuadé que la conscience survit à la mort. « La greffe de tête peut en être une preuve. Comme vous le savez, la tête sera totalement détachée, sans sang ni oxygène. Autrement dit, la tête sera morte de façon clinique et au moment où la tête sera ressuscitée, le patient nous racontera ce qu’il a vu», indique le chirurgien. Selon Sergio Canavero, cette expérience scientifique est extraordinaire parce qu’un homme pourrait découvrir ce qui se passe après la mort. »
Pourra-t-on un jour greffer un cerveau ? Que reste-t-il de notre humanité ?
« Non ! lit-on sur la publication suivante ! Même si l’on s’en tient au seul aspect ‘technique’ du problème, la réponse est négative. Pour qu’il y ait greffe, il faut qu’il y ait formation d’un lien (la cicatrisation impliquant la fabrication de nouvelles cellules nerveuses) entre le cerveau greffé et le réseau de connexions grâce auquel il envoie ses ordres. Or, même si aujourd’hui, on sait que le corps fabrique des cellules nerveuses, ce processus est très lent. Comment dans ces conditions le cerveau pourrait-il assurer sa fonction de chef d’orchestre du corps et donc de toutes ses fonctions vitales ? Et même si “techniquement” de telles greffes étaient possibles, les envisager poserait plusieurs problèmes éthiques majeurs. Greffer un cerveau, donc une pensée, un affect sur un corps qui n’est pas le sien, est-ce bien humain ? De nombreux problèmes psychologiques seraient de ce fait à prévoir ! De plus, pour greffer un cerveau, il faut disposer d’un cerveau en état de fonctionner, c’est-à-dire un cerveau vivant. Cela signifie que pour transférer un tel cerveau à un patient dont le cerveau serait détruit et ainsi lui redonner vie, il faudrait tuer quelqu’un. Impensable ! »
Et pourtant ! Rien n’interdit techniquement la faisabilité. Une singularité sur le plan éthique serait d’un vieillard espérant revivre avec un corps jeune. La question est de savoir si la quête de l’immortalité à n’importe quel prix entre dans la mission du médecin ? En fait, dans la quête de l’éternité, la solution finale serait la « copie » de cerveau, soit en recréant la matière grise in vitro, soit en simulant parfaitement sont fonctionnement par un système logiciel et en copiant le « contenu » du cerveau dans ce système. Le Human Brain Project a pour objectif précisément de modéliser le cerveau. La science conquérante envisage de s’emparer de tous les domaines à la fois physique et psychique de l’individu.
Cependant, du point de vue éthique, depuis toujours on pensait que le cœur était le siège du sentiment, de l’émotion et pourtant, du jour au lendemain, la science nous a dit de chercher ailleurs pour placer ce qui dans l’imaginaire, la philosophie, l’éthique et les religions ce « supplément d’âme » qui accompagne le corps. C’est un fait, la science bouscule d’une façon de plus en plus conquérante un certain nombre de « certitudes » avec lesquelles l’homme a vécues depuis l’avènement de l’humanité.
Que deviennent l’âme et l’esprit après la mort ?
On remarque que les sciences ne produisent plus seulement des visions du monde. Elles interviennent dans sa transformation. Ce faisant, elles sont tout autant cible qu’outil de formation de nos valeurs. Une question devient toutefois de plus en plus récurrente : quelle est la définition de l’Humain ? Changer de corps, changer de tête, dans tout ça où est l’identité de l’Homme ?
A partir du moment où nous partageons avec un exo cerveau, un exo squelette, en un mot avec la machine une partie de notre identité, il arrive un moment où même avec les avancées du bricolage du génome par une méthode, semble-t-il, très simple, la Crispc9, que reste-t-il de notre part d’humanité qui mit des milliers d’années à évoluer pour finalement se faire « doubler » par une machine qui fait de nous un cyborg mi-homme mi machine, une chimère qui, à un moment ou à un autre, cessera de vivre ou plus exactement de fonctionner ?
Notre marqueur identitaire sera dilué et notre carte spirituelle, que devient-elle près la mort ? Pour le père Souchon, jésuite : « Ce que nous devenons après la mort est un bien grand mystère. Le mot même après, qui suggère l’idée d’une continuité temporelle est mal adapté pour parler de l’éternité (…) Le mot rouh (vent, souffle, esprit) est un mot très riche et complexe. C’est d’abord le vent, un des éléments de la nature, vent de tempête ou brise légère, dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va » (Jean 3,8). « Quand il est question de l’être humain, c’est la respiration, le souffle, la force et l’énergie vitale. Présent à la création, le souffle de Dieu (Son Esprit) est, en quelque sorte, le lien vital entre Dieu et l’homme.(…). »
Plus largement, les religions notamment révélées devraient – de mon point de vue – montrer que la transcendance n’interdit pas d’aller vers la science notamment, pour réparer le corps, mais que l’existence de l’homme est un miracle non seulement en termes d’insufflation de la vie, mais même au vu des millions de contraintes physico-chimiques surmontées pour qu’il naisse.
Il n’y a pas lieu pour les croyants de tenter de se substituer au divin… Devant la science confucéenne qui a une autre vision de l’homme de sa présence sur Terre, les chercheurs n’ont pas d’état d’âme contrairement aux dernières digues qui commencent à sauter en Occident. Cette course vers l’abîme fait que l’homme, ce tard venu à l’échelle des temps cosmiques, se veut un destin prométhéen. Si l’humanité disparaît du fait d’une catastrophe anthropique de causes multiples, comme les changements climatiques, le bricolage biologique, la Terre et l’univers ne la pleureront pas ! Que représente en effet quelques millions d’années sur quelque 13,82 milliards d’années ! Un clin d’œil !
Et pourtant l’homme fait preuve d’hubris et se veut un destin prométhéen en arrachant à l’instar de Prométhée – connu pour avoir créé les hommes à partir de restes de boue transformés en roches, – le vol du « savoir divin » (le feu sacré de l’Olympe) ou reviendra-t-il de lui-même à une démarche éthique ? La question reste posée.
yogaesoteric
19 avril 2018