Jiddu Krishnamurti – Un maître qui a marqué les esprits et les cœurs (1)

Qui était Jiddu Krishnamurti, ce grand penseur dont les enseignements éclairés et l’ouverture de coeur ont frappé l’humanité ? D’une jeunesse colorée par un rôle d’Instructeur du monde, à 60 années consacrées à l’enseignement, toute l’existence de Krishnamurti fut jalonnée de phénomènes mystérieux. Retour sur une vie frappée d’extraordinaire… Une allure distinguée, de grands yeux noirs, Jiddu Krishnamurti grandit à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Il déclarait ne pas se souvenir de l’époque de sa jeunesse, expliquant qu’« aucune pensée ne pénétrait mon esprit. Observer et écouter, rien d’autre ». Ce manque de mémoire et cette totale disponibilité à l’instant présent constituent l’un des aspects les plus insaisissables et complexes de la personnalité de celui qui allait devenir un sage adulé…

 

Sa disposition d’esprit se reflète dans son enseignement de liberté intérieure : Krishnamurti considérait les conditionnements psychologiques, qu’ils soient éducatifs, religieux, culturels ou politiques, comme néfastes et une entrave à la pureté de perception du moment et de la vie en général. Son message était simple : « La vérité est un pays sans chemin ». Comment cet homme, généralement considéré comme l’un des plus grands penseurs et maîtres spirituels de tous les temps, était-il parvenu à saisir cette réalité profonde ?

Jiddu Krishnamurti ou J. Krishnamurti (12 mai 1895 – 17 février 1986) fut un auteur et un orateur bien connu sur les sujets philosophiques et spirituels fondamentaux. Après avoir publiquement renoncé, à l’âge de 34 ans, à la renommée et au statut de Messie qu’il avait gagné en étant proclamé la nouvelle incarnation de Maitreya Bouddha par la Société Théosophique, il passa le reste de sa vie à voyager autour du monde en expliquant aux gens le besoin de se transformer par eux-mêmes au travers de la connaissance de soi. Il a soutenu qu’un changement fondamental dans la société peut émerger seulement par un changement radical de l’individu, puisque la société est le produit des interactions entre individus. Bien qu’il ait été très sensible aux questions contemporaines aux cours des décennies, ses réponses étaient enracinées dans sa vision intemporelle de la vie et de la vérité. En tant que tel, il a essayé de transcender toutes les frontières artificielles de la religion, de la nationalité, de l’idéologie, et du penser sectaire. Refusant de jouer le rôle de gourou, il a exhorté ses auditeurs à observer les questions fondamentales de l’existence avec honnêteté, persistance et ouverture d’esprit…

Krishnamurti est né dans une famille de Brahmanes Télougou à Madanapalle en Inde, et en 1909 il rencontra C.W. Leadbeater sur la plage privée du siège de la Société Théosophique à Adyar, Chennai, Inde. Il fut ensuite élevé sous la tutelle de Annie Besant et C.W. Leadbeater, dirigeants de la société à cette période, qui le voyaient comme le « véhicule » de « l’Instructeur du Monde » qu’ils attendaient. Jeune homme, il désavoua cette idée et dissout une organisation mondiale (l’Ordre de l’Etoile) constituée pour le soutenir. Il passa le reste de sa vie à voyager à travers le monde en tant qu’orateur à titre individuel, s’adressant à des auditoires larges ou modestes aussi bien qu’à des personnes manifestant de l’intérêt. Il est l’auteur d’un bon nombre de livres, parmi lesquels La Première et Dernière Liberté, La Révolution du Silence, et le Journal. De plus, une grande collection de ses conférences et discussions ont été publiées. A l’âge de 91 ans il s’est adressé aux Nations-Unies sur le sujet de la paix et de la conscience, et s’est vu décerner la médaille de la paix des Nations-Unies pour l’année 1984. Sa dernière conférence publique eut lieu à Madras en Inde en janvier 1986, un mois avant sa mort à son domicile à Ojai en Californie…

Ses sympathisants, travaillant dans plusieurs fondations non-lucratives, supervisent un certain nombre d’écoles indépendantes centrées sur ses vues concernant l’éducation – en Inde, en Angleterre et aux Etats-Unis – et continuent à transcrire et distribuer beaucoup de ses milliers de conférences, d’entretiens individuels ou en groupe, et d’autres écrits, en les publiant sous des formats variés tels que livres, enregistrements sonores et vidéos, ainsi que sous forme numérisée ou diffusée en ligne, en de nombreuses langues….

Contexte familial et enfance…

Jiddu Krishnamurti est issu d’une famille de brahmanes parlant le Télougou. Son père, Jiddu Narianiah, était un fonctionnaire de l’administration britannique coloniale. Ses parents, cousins au second degré, eurent onze enfants au total, dont seulement six survécurent. Ils étaient végétariens stricts, évitant même de manger les œufs et jetant toute nourriture qui « aurait croisé l’ombre d’un anglais ». Il est né le 12 mai 1895 (11 mai selon le calendrier brahmane), dans la petite ville de Madanapalle dans le district de Chittor en Andra Pradesh à environ 150 miles (250 km) au nord de Madras (maintenant Chennai).

 

En 1903, la famille s’est installée dans le Cudappah où Krishnamurti avait contracté la malaria lors d’un séjour précédent, une maladie dont il aurait à souffrir d’accès récurrents durant de nombreuses années. C’était un enfant sensible et maladif ; « dans la lune et rêveur », il fut souvent considéré comme mentalement retardé, et fut régulièrement battu à l’école par ses professeurs et à la maison par son père. Dans les mémoires qu’il écrivit à l’âge de dix-huit ans, il décrit aussi des expériences « psychiques », ayant « vu » sa sœur après sa mort en 1904, ainsi que sa mère qui est morte en 1905 quand il avait dix ans…

Narianiah le père de Krishnamurti, prit sa retraite à la fin de 1907, et, ayant des moyens limités, écrivit à Annie Besant, alors présidente de la Société Théosophique, pour chercher un emploi au domaine des 260-acre, siège social de la Théosophie à Adyar. (Bien que brahmane orthodoxe et observant, Narianiah avait été membre de la Société Théosophique depuis 1882). Il fut par la suite engagé par la Société comme secrétaire, et sa famille y emménagea en janvier 1909.

La « découverte » et ses conséquences…

Ce fut quelques mois après le dernier déménagement que Krishnamurti fut trouvé par le grand occultiste et théosophe de haut rang C.W. Leadbeater, aux prétentions de clairvoyance. Pendant ses incursions à la plage du domaine Théosophique, sur le fleuve jouxtant Adyar, Leadbeater avait remarqué Krishnamurti, (qui fréquentait aussi la plage avec les autres), et fut stupéfié par la « plus merveilleuse aura qu’il ait jamais vue, dépourvue de toute particule d’égoïsme ». Cette impression forte existait malgré l’apparence extérieure de Krishnamurti, qui, selon des témoins oculaires, était assez commune, quelconque, et négligée. Le garçon était aussi considéré comme «particulièrement simplet » ; il avait souvent «une expression vide » qui « lui donnait un regard presque abruti ». Leadbeater resta fermement convaincu que le garçon deviendrait un grand enseignant…

Pupul Jayakar, dans sa biographie de Krishnamurti, le cite, parlant de cette période de sa vie quelque 75 ans après : « Le garçon avait toujours dit, “ Je ferai tout ce que vous voulez ”. Il y avait un élément de soumission, d’obéissance. Le garçon était distrait, incertain, inconsistant ; il n’a pas semblé s’inquiéter de ce qui se produisait. Il était comme un navire, avec un grand trou à l’intérieur, tout ce qui y passait traversait sans que rien ne reste. » Au sujet de son enfance, Krishnamurti écrivit dans son journal : « Aucune pensée n’est entré dans son esprit. Il observait et écoutait et rien d’autre. La pensée avec ses associations n’a jamais pris place. Il n’y avait aucune fabrication d’image. Il a souvent essayé de penser mais aucune pensée ne venait. » Après la « découverte », Krishnamurti fut placé sous l’aile de la direction de la Société Théosophique de Adyar et de son cercle intérieur. Leadbeater et un nombre restreint d’associés de confiance furent chargés d’éduquer, de protéger, et plus généralement de préparer Krishnamurti comme le « véhicule » de « l’Instructeur du Monde » attendu…

 

Plus tard en 1911, une nouvelle organisation appelée l’Ordre de l’Etoile fut établie par la direction Théosophique afin de préparer le monde à la « venue » annoncée. Krishnamurti fut nommé à sa tête, avec des Théosophes aînés à diverses positions. L’adhésion était ouverte à quiconque acceptait la doctrine de la venue de l’« Instructeur du monde ». La polémique éclata peu après, à la fois à l’intérieur de la Société Théosophique et en dehors, dans les cercles Hindous et la presse indienne…

 

Krishnamurti (ou Krishnaji comme on l’appelait souvent et son plus jeune frère Nitya furent pris en tutorat à titre privé dans l’enceinte Théosophique de Madras, et plus tard furent emmenés vers une vie comparativement opulente dans un cercle de la haute société européenne afin de terminer leur éducation. Pendant toute cette période, Krishnamurti a développé un lien fort avec Annie Besant, une relation mère-fils de substitution. Son père, repoussé à l’arrière-plan par le remous d’intérêt autour de Krishnamurti, a poursuivi la Société Théosophique en 1912 pour protéger ses intérêts parentaux. Après une bataille légale prolongée, Besant prit la garde légale de Krishnamurti et de son frère Nitya. En raison de cette séparation de sa famille et de sa maison, Krishnamurti et son frère devinrent extrêmement proches, et dans les années suivantes ils voyagèrent souvent ensemble…

Les années de jeunesse…

Mary Lutyens, dans sa biographie de Krishnamurti, déclare qu’il y eut un temps où il a entièrement cru qu’il devait devenir l’« Instructeur du Monde », après un soutien et une éducation correcte dans les domaines spirituels et séculaires. Un autre biographe décrit le programme quotidien qui lui fut imposé par Leadbeater et ses associés, qui incluait entre autres des exercices sportifs rigoureux, des cours particuliers dans de nombreuses matières scolaires, des leçons théosophiques et religieuses, le yoga et la méditation, ainsi que l’instruction de l’hygiène et des bonnes manières de la société et de la culture britanniques. À la différence des sports, où il a montré une aptitude naturelle, Krishnamurti a toujours eu des problèmes avec le formalisme scolaire et n’avait aucun penchant académique. Il a finalement abandonné l’éducation universitaire après plusieurs tentatives d’admission…

Il apprit des langues étrangères, parvenant à parler plusieurs d’entre elles (le Français et l’Italien entre autres) avec une certaine maîtrise. Durant cette période, il a apparemment apprécié la lecture de passages de l’Ancien Testament, et a été impressionné par certains des classiques occidentaux, particulièrement Shelley, Dostoïevski et Nietzsche. Il avait également, depuis l’enfance, des aptitudes considérables pour l’observation et la mécanique, pouvant correctement démonter et remonter des mécanismes complexes…

 

Son image publique, cultivée à l’origine par les théosophes, « … fut caractérisée par un extérieur bien lissé, une sobre détermination, une apparence cosmopolite et en d’autres mots, un détachement dans son comportement confinant à la béatitude. » Et dans les faits, « … on pourrait dire que toutes ces caractéristiques s’appliquent à l’image publique de Krishnamurti de la fin de sa vie. » Il apparût clairement très tôt qu’il « … possédait un magnétisme personnel inné, sans être d’un type physique chaleureux, mais qu’il était néanmoins émotif dans son austérité, et porté à inspirer la vénération. ». Cependant, alors que Krishnamurti grandissait, il montra des signes de rébellion adolescente et d’instabilité émotionnelle, s’irritant du régime qui lui était imposé et ayant de temps en temps des doutes à propos de l’avenir qu’on lui prescrivait…

 

En 1922, Krishnamurti et Nitya voyagèrent de Sydney à la Californie en passant par la Suisse. En Californie, ils logèrent dans une maison située dans une vallée reculée près d’Ojai, qui leur fut prêtée pour l’occasion par un américain membre de l’Ordre de l’Etoile. Finalement un groupe de sympathisants l’acquirent pour lui avec la propriété environnante, qui devint désormais le domicile officiel de Krishnamurti…

C’est à cet endroit, en août 1922, que Krishnamurti est passé par une intense expérience qui a transformé sa vie. Elle a été simultanément et invariablement caractérisée comme un éveil spirituel, une transformation psychologique, et un « conditionnement » physique. Krishnamurti et ses proches l’appelèrent « le processus », qui continua de se produire fréquemment avec une intensité variable jusqu’à sa mort. Les témoins rapportent qu’il a commencé à l’âge de 17 ans, avec une douleur extraordinaire et un gonflement dur comme une balle à la nuque et au cou. Les deux jours suivants, les symptômes s’aggravèrent, avec l’augmentation de la douleur, un malaise et une sensibilité physique extrême, et des divagations délirantes occasionnelles. Puis il parût sombrer dans l’inconscience ; en réalité, il a raconté qu’il était très conscient de son environnement et que pendant cet état, il eût une expérience « d’union mystique ». Le jour suivant, les symptômes, et l’expérience, s’accrurent, culminant avec un sens « de paix immense… »

« J’étais suprêmement heureux, parce que j’avais vu. Rien n’a pu jamais être identique. J’ai bu à l’eau pure et claire et ma soif a été apaisée. J’ai vu la Lumière. J’ai touché la compassion qui guérit toute peine et toute souffrance ; ce n’est pas pour moi-même mais pour le monde. L’amour dans toute sa gloire a intoxiqué mon cœur ; mon cœur ne pourra jamais se refermer. J’ai bu à la fontaine de la Joie et de l’éternelle Beauté. Je suis intoxiqué de Dieu. » Des incidents semblables ont continué avec des interruptions courtes jusqu’à octobre, et ont repris plus tard régulièrement, toujours impliquant, à divers degrés, des douleurs physiques pour marquer le début du « processus », accompagné par ce qui est décrit, de manière variable, comme « présence », « bénédiction », « immensité », et « caractère sacré », qui, selon certaines informations, a souvent été, « ressenti » par les personnes présentes…

Plusieurs explications ont été proposées pour les évènements de 1922, et le « processus » en général. Leadbeater et d’autres théosophes, bien qu’ils se soient attendus à ce que le « véhicule » ait certaines expériences paranormales, furent radicalement déconcertés face aux développements de l’ensemble du phénomène et devant une impasse pour l’expliquer. Le « processus », et l’incapacité de Leadbeater de l’expliquer de manière satisfaisante, eurent d’autres conséquences si l’on en croit le biographe R. Vernon :

« Le processus d’Ojai, quel que soit sa cause ou sa validité, fut une étape importante et bouleversante pour Krishna. Jusqu’à ce moment son progrès spirituel, aussi bien quadrillé que possible, avait été planifié par délibération solennelle des sommités de la Théosophie. … Quelque chose de nouveau s’était maintenant produit pour lequel la formation de Krishna ne l’avait pas entièrement préparé. … Un fardeau fut enlevé de sa conscience et il fit son premier pas vers l’individualité. Dans la perspective de son futur rôle d’instructeur, le processus constitua sa fondation. L´était venu à lui tout seul et n’avait pas été planté en lui par ses mentors il fournissait à Krishna le sol dans lequel son esprit de confiance et d’indépendance récemment découvert pourrait prendre racine … »

Finalement, la mort inattendue de son frère Nitya le 11 novembre 1925 à l’âge de 27 ans, de tuberculose, après une longue maladie, choqua fondamentalement la croyance et la foi de Krishnamurti en la Théosophie et les dirigeants de la société théosophique. D’après les témoins, la nouvelle le « brisa complètement ». Il lutta pendant des jours pour surmonter sa douleur, ce qui aboutit à passer par « une révolution intérieure, à trouver une force nouvelle ». L’expérience de la mort de son frère détruisit toutes les illusions restantes, et les choses ne seraient plus jamais les mêmes…

Lisez la deuxième partie de cet article
 
 
 

yogaesoteric

7 mars 2019


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