Jiddu Krishnamurti – Un maître qui a marqué les esprits et les cœurs (5)

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La discipline est un moyen facile d’avoir l’enfant en main, mais elle ne l’aide pas à comprendre les problèmes que pose la vie. Une certaine forme de contrainte, une discipline comportant des punitions et des récompenses peuvent être nécessaires pour maintenir l’ordre et une tranquillité apparente, lorsqu’un grand nombre d’élèves se trouvent entassés dans une classe ; mais un bon éducateur, n’ayant à s’occuper que d’un petit nombre d’élèves, aurait-il besoin d’un régime d’oppression, poliment intitulé discipline ? Si les classes sont peu nombreuses et que le maître peut accorder toute son attention à chaque enfant, l’observer et l’aider, la contrainte ou la domination ne sont évidemment nécessaires sous aucune forme. Si, dans un tel groupe, un élève persiste à créer du désordre, et est déraisonnablement chahuteur, l’éducateur doit s’enquérir de la cause de sa mauvaise conduite, qui peut être un mauvais régime alimentaire, un manque de repos, des conflits familiaux ou quelque peur secrète.

 

Implicite dans l’éducation dont on parle, est la culture de la liberté et de l’intelligence, qui est impossible sous quelque forme de contrainte qu’accompagne la peur. Après tout, le rôle de l’éducateur est d’aider l’élève à comprendre les complexités de son être entier. Exiger de lui qu’il refoule une partie de sa nature au bénéfice d’une autre, c’est créer en lui un interminable conflit, lequel aboutit à des conflits sociaux. C’est l’intelligence qui engendre l’ordre, non la discipline.

La conformité et l’obéissance n’ont aucune place dans une éducation vraie. La coopération entre le maître et l’élève est impossible s’il n’existe pas une affection réciproque, un mutuel respect. Lorsque les signes du respect pour ses aînés sont exigés de l’enfant, ils deviennent en général une simple habitude, une série de gestes purement extérieurs et la peur assume l’aspect de la vénération. Sans respect et considération pour autrui, il n’y a pas de relation vivante possible, surtout lorsque le maître n’est que l’instrument de son propre savoir.

Si le maître exige le respect de ses élèves et en a très peu pour eux, cela provoquera évidemment de l’indifférence et un manque de déférence. Si l’on n’a pas d’égards pour la vie humaine, le savoir ne conduit qu’à la destruction et à la misère. La culture du respect pour autrui est un élément essentiel de l’éducation, mais si l’éducateur ne possède pas lui-même cette qualité, il ne peut pas aider ses élèves à atteindre une vie intégrée.

L’intelligence est la perception de l’essentiel, et pour discerner l’essentiel il faut être libre des obstacles que projette l’esprit à la recherche de sa propre sécurité et de son confort. La peur est inévitable tant que l’esprit est à la recherche d’une sécurité ; et lorsque les êtres humains sont enrégimentés sous quelque forme que ce soit, l’acuité de l’esprit et l’intelligence sont détruites.

Le but de l’éducation est d’établir des rapports intelligents, non seulement entre un individu et l’autre, mais aussi entre l’individu et la société en général ; et c’est pourquoi il est essentiel que l’éducation, d’abord et surtout, aide à la fois le maître et l’élève à comprendre leurs propres processus psychologiques.

L’intelligence consiste à se comprendre, et à aller au-dessus et au-delà de soi-même ; mais il ne peut pas y avoir d’intelligence tant que subsiste la peur, laquelle pervertit l’intelligence et est une des causes de l’action égocentrique.

La discipline peut refouler la peur, mais ne la déracine pas, et les connaissances superficielles que dispense l’instruction moderne ne font que l’enfoncer en soi plus profondément.

Au cours de la jeunesse, dans la plupart des foyers et des écoles, on s’instille la peur. Ni les parents ni les maîtres n’ont la patience, le temps ou la sagesse de dissiper les craintes instinctives de l’enfance, lesquelles, au fur et à mesure qu’on grandit, dominent le comportement et le jugement, et créent un grand nombre de problèmes. L’enseignement dont on parle doit prendre en considération cette question, car la peur pervertit toute la notion de l’existence. Être affranchi de la peur est le commencement de la sagesse, et une éducation digne de ce nom provoque en nous cette libération qui, seule, peut éveiller une intelligence assez profonde pour être créatrice.

La récompense ou la punition pour une action quelle qu’elle soit, ne fait que renforcer l’égocentrisme. Agir pour le compte et dans l’intérêt d’autrui, au nom de la patrie ou de Dieu, conduit à la peur, et la peur ne peut pas être à la base d’une action juste. Si on veut aider un enfant à avoir des égards pour les autres, on ne doit pas le soudoyer en invoquant l’amour, mais lui expliquer ce qu’est le respect d’autrui, en y mettant la patience et le temps qu’il faut.

Il n’y a pas de respect pour autrui lorsqu’intervient l’idée de récompense, car l’avantage que l’on y cherche ou la punition que l’on redoute deviennent bien plus importants que le sentiment du respect. Si on n’a pas de respect pour l’enfant, mais on agit sur lui par des promesses et des menaces, on développe en lui à la fois le sens d’acquisition et la peur. Parce qu’on a été instruit soi-même à agir en vue d’obtenir des résultats, on ne voit pas qu’il peut exister une action libre de tout désir d’acquisition.

Un enseignement véritable encourage la réflexion personnelle et le respect d’autrui sans stimulants et sans menaces d’aucune sorte. Aussitôt qu’on cesse de rechercher des résultats immédiats, on commence à voir combien il est important que l’éducateur et l’enfant soient tous deux affranchis de la peur des punitions et de l’espoir des récompenses, ainsi que de toute autre forme de contrainte. Mais la contrainte subsistera tant que l’autorité interviendra dans les relations mutuelles.

S’assujettir à l’autorité offre de nombreux avantages à ceux qui pensent en termes de profits et de mobiles personnels. Mais l’éducation basée sur l’avancement individuel et le bénéfice ne peut que construire une structure sociale de concurrence, d’antagonismes et de brutalité. C’est dans une société de cette sorte qu’on a été élevés, et l’état d’hostilité et de confusion est évident.

On a appris à se conformer à une autorité ou à un maître, à un livre ou à un parti, parce que cela est avantageux. Les spécialistes de toutes les différentes activités de la vie, depuis le prêtre jusqu’au bureaucrate, manipulent l’autorité et assujettissent les gens. Les gouvernements ou les instructeurs qui emploient la contrainte ne peuvent pas obtenir, dans les relations humaines, la coopération nécessaire au bien-être de la société.

Si on veut que s’établissent des rapports de vérité entre les êtres humains, on ne doit user ni de contrainte ni même de persuasion. Comment l’affection et une coopération sincère peuvent-elles exister entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent ? Mais en considérant sans passion cette question de l’autorité et ses nombreuses implications, en voyant que le seul désir de puissance est en soi destructif, il se produit une compréhension spontanée de tout le processus de l’autorité. Dès l’instant qu’on écarte l’idée d’autorité, on se trouvons associé les uns aux autres, et alors la coopération et l’affection mutuelle deviennent possibles.

Le véritable problème de l’éducation, est l’éducateur. S’il use d’autorité comme moyen pour se dégager, pour se réaliser lui-même, si l’enseignement est pour lui une expansion personnelle, même un petit groupe d’élèves peut devenir l’instrument de son ambition. Mais un simple accord intellectuel, ou verbal, sur les effets paralysants de l’autorité, serait sot et vain : il faut avoir une vision profonde des motifs secrets de l’autorité et de la domination. Si on voit que l’intelligence ne peut jamais être éveillée par la contrainte, la conscience même de ce fait, réduira les peurs en cendres, et on commencera alors à cultiver un milieu nouveau qui sera contraire à l’ordre social actuel et le transcendera considérablement.

Pour comprendre le sens de la vie, de ses conflits et de ses douleurs, il faut penser indépendamment de toute autorité, y compris celle des religions organisées. Mais si, dans le désir d’aider l’enfant, on place devant lui des exemples impressionnants, on n’éveille en lui que la peur, l’imitation et différentes formes de superstitions.

Les personnes de tendance religieuse essayent d’imposer à leurs enfants les espoirs et les craintes qu’elles ont reçues de leurs propres parents ; et les personnes antireligieuses sont également désireuses d’influencer leurs enfants et de leur faire accepter leur façon particulière de penser. On veut tous que ses enfants adoptent sa forme de culte et qu’ils prennent à cœur les idéologies qu’on a choisies. Il est si facile de s’embourber dans des images et des formulaires, inventés par soi-même ou par d’autres ! C’est pourquoi il est nécessaire d’être toujours attentif et en éveil.

 

Ce qu’on appelle religion n’est que croyance organisée, avec accompagnement de dogmes, de rituels, de mystères et de superstitions. Chaque religion a ses livres sacrés, ses médiateurs, ses prêtres et ses façons de menacer et de dominer. On a, pour la plupart, été conditionnés en fonction de tout cela, et c’est ce que l’on appelle une éducation religieuse. Mais ce conditionnement dresse l’homme contre l’homme, et engendre l’antagonisme, à la fois parmi les croyants et contre les autres appartenances. Bien que toutes les religions affirment qu’elles rendent un culte à Dieu et proclament que nous devons nous aimer les uns les autres, elles instillent la peur, en se servant de leurs doctrines basées sur la récompense et le châtiment. Et leurs dogmes rivaux perpétuent les suspicions et les luttes.

Dogmes, mystères, rituels : rien de tout cela ne conduit à une vie spirituelle. L’éducation religieuse, dans le vrai sens de ce mot, consiste à encourager l’individu à comprendre les rapports qu’il entretient avec ses semblables, avec les objets, avec la nature. Il n’y a pas d’existence sans relation, et sans la connaissance de soi toutes les relations, personnelles et collectives, sont des causes de conflits et de douleurs. Certes, il est impossible d’expliquer pleinement tout cela à l’enfant ; mais si l’éducateur et les parents saisissent profondément tout ce que comportent les relations humaines, ils pourront, par leur attitude, leur comportement et leur langage, faire comprendre à l’enfant, sans trop de mots et d’explications, ce qu’est une vie spirituelle.

La soi-disant culture religieuse décourage l’interrogation et le doute, et pourtant ce n’est qu’en examinant le sens et la portée des valeurs que la société et la religion ont établies autour des gens, qu’on commence à découvrir le vrai. La fonction de l’éducateur est d’être profondément conscient de ses propres pensées et de ses sentiments ; il peut ainsi abandonner les valeurs qui lui ont donné la sécurité et le réconfort, et aider les autres à prendre conscience d’eux-mêmes-et à connaître leurs aspirations et leurs craintes.

C’est pendant la période de croissance qu’il faut veiller à empêcher les déformations. Et si les gens, qui sont plus âgés, ont assez d’entendement, ils peuvent aider les jeunes à s’affranchir des entraves que la société leur impose, ainsi que des obstacles qu’ils projettent au-devant d’eux-mêmes. Si les jeunes n’ont pas l’esprit et le cœur façonnés par des préconceptions religieuses et des préjugés, ils demeurent libres de découvrir, par la connaissance d’eux-mêmes, ce qui est au-dessus et au-delà d’eux-mêmes.

La vraie religion n’est pas un ensemble de croyances et de rituels, d’espérances et de craintes. Et si on permet à l’enfant de grandir sans ces influences gênantes, alors, peut-être, en mûrissant, commencera-t-il à s’enquérir de la nature de la réalité, de Dieu. Voilà pourquoi, en élevant l’enfant, il est nécessaire d’avoir une grande pénétration d’esprit.

La plupart des personnes qui ont une tendance à être religieuses, qui parlent de Dieu et de l’immortalité, ne croient pas profondément à la liberté individuelle et à l’intégration. La vraie religion est pourtant la culture de la liberté dans la recherche de la vérité. Il ne peut pas y avoir de compromis avec la liberté. Pour l’individu, une liberté partielle n’est pas une liberté du tout. Un conditionnement, de quelque sorte qu’il soit, politique ou religieux n’est pas la liberté et n’apportera jamais la paix.

La vraie religion n’est pas une forme de conditionnement. C’est un état de tranquillité en lequel est la réalité, Dieu. Mais cet état créatif ne peut entrer en existence que lorsqu’il y a connaissance de soi et liberté. La liberté engendre la vertu, et sans vertu il n’y a pas de tranquillité. L’esprit immobile n’est pas un esprit conditionné, il n’est pas discipliné ou entraîné à être immobile. L’immobilité ne survient que lorsque l’esprit comprend son propre processus, qui est le processus du moi.

Les religions organisées sont les pensées congelées des hommes, avec lesquelles ils construisent des temples et des églises. Elles sont devenues la consolation des timorés et l’opium de ceux qui sont dans la détresse. Mais Dieu, mais la vérité, est bien au-delà de la pensée et des sollicitations émotionnelles. Les parents et les éducateurs qui découvrent et réalisent le processus psychologique de la peur et de la souffrance, devraient pouvoir aider les jeunes à observer et à comprendre leurs propres conflits et leurs épreuves.

Si ceux qui sont plus âgés peuvent aider les enfants, au fur et à mesure qu’ils grandissent, à penser clairement et sans passion, à aimer et à ne pas provoquer d’animosité, qu’y aurait-il de plus à faire ? Mais si on se saute constamment à la gorge, si on est incapables d’instaurer l’ordre et la paix dans le monde en se changeant soi-même profondément, de quelle valeur sont les livres sacrés et les mythes des diverses religions ?

Lisez la sixième partie de cet article
 
 
 

yogaesoteric

24 mars 2019

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