L’ « Occident » et sa « guerre au terrorisme » : traitement des symptômes, mais pas des causes de la maladie (1)

Lorsque Jeremy Corbyn a établi un lien direct entre le bombardement de Manchester et les guerres de la Grande-Bretagne contre l’Irak, la Libye et la Syrie, il a été vivement attaqué pour « justification du terrorisme », « soutien au terrorisme », « complaisance envers le terrorisme » et faiblesse.
Theresa May l’a accusé d’avoir dit que les attaques terroristes au Royaume-Uni « sont entièrement de notre faute ». Avant même qu’il n’ait parlé, le Sun faisait état « d’indignation » car « on a appris que Corbyn prétendra que la guerre de la Grande-Bretagne contre le terrorisme est responsable de l’attaque terroriste à Manchester. »

 

Jeremy Corbyn en tête d’une manifestation en juillet 2014 protestant contre la guerre d’Israël contre Gaza

En fait, Jeremy Corbyn n’avait pas l’intention de faire une telle déclaration ni ne l’a faite. Le lien qu’il a fait, c’était avec les attaques britanniques contre d’autres pays, et non avec la « guerre contre le terrorisme », qu’il n’a mentionnée que comme étant un échec. Alors que les bombardements en Grande-Bretagne et dans d’autres pays se sont poursuivis au fil des années, il est certainement opportun de reconnaître qu’il a raison, ou du moins que quelque chose cloche dans la manière dont les gouvernements font face à cette menace.

La complicité officielle est l’un des sujets tabou. John Pilger et d’autres ont souligné le fait que le gouvernement britannique savait qu’il y avait une cellule terroriste potentielle à Manchester, formée d’adhérents du Groupe de lutte islamique libyenne (LIFG), interdit comme organisation terroriste par le gouvernement, mais qui s’est transformé en un outil utile pendant la guerre contre la Libye. Les sympathisants ou les membres du groupe étaient bien connus des autorités de Manchester. Beaucoup avaient été placés sous une forme d’assignation à domicile lorsque, en 2011, ils ont été libérés, leur passeport leur a été rendu et ils ont été autorisés – pratiquement encouragés – à retourner en Libye pour rejoindre des groupes affiliés à Al-Qaida se battant sous la couverture aérienne fournie par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France.

L’un d’eux était Ramadan Abedi, vivant maintenant à Tripoli, père de Salman, l’auteur de l’attentat suicide de Manchester. Salman était connu de la police, et figurait également sur une liste de terroristes du FBI. Le FBI avait alerté le gouvernement britannique de sa présence et de la menace qu’il représentait. Donc, très clairement, le gouvernement savait qui il était, où il était et où il était allé. Juste avant l’attentat, il s’était rendu en Syrie et était revenu en Grande-Bretagne de Libye sans attirer suffisamment l’attention pour être arrêté, interrogé et surveillé.

Donc, qu’est ce qui est plus important ici, les faiblesses de caractère présumées d’un jeune homme, tel que décrit par les médias, un marginal et un fumeur de drogues, un « loup solitaire », attiré par le terrorisme en raison d’un vide dans sa vie – ou le fait que ce vide se soit trouvé rempli par les conséquences de ce qu’il a vu en Libye et en Syrie ? Qu’il ait choisi de se faire exploser en Grande-Bretagne plutôt qu’en Syrie suggère qu’il considérait que c’était l’ « Occident » l’ennemi le plus sérieux et le plus dangereux, et non le gouvernement de Damas.

L’autre sujet tabou ce sont les guerres occidentales qui ont tué des millions de musulmans depuis l’invasion de l’Irak en 1991. Rien que les douze années de sanctions (1990-2002) ont causé la mort de centaines de milliers d’enfants irakiens. La première guerre contre l’Irak a été suivie de l’invasion de 2003, de la destruction de la Libye et de la guerre contre la Syrie. Si au nombre de victimes de ces guerres on ajoute celles d’Afghanistan, le nombre de morts s’élève alors au minimum à quatre millions, et certaines estimations atteignent les huit millions.

Innombrables millions d’autres Afghans, Irakiens, Libyens et Syriens ont été transformés en réfugiés sans-abris dans leur propre pays ou ont été chassés au-delà de leurs frontières. À la suite de ces guerres, des milliers de personnes, d’hommes, de femmes et d’enfants, nourrissons et bébés y compris, se sont noyés en mer Égée ou Méditerranée en essayant d’atteindre la sécurité en Europe. Les gouvernements « occidentaux » qui ont fait la guerre à leur pays doivent être tenus totalement responsables des conséquences à court et à long terme de ce qu’ils ont fait même s’ils ne sont pas prêts à reconnaître une responsabilité personnelle.

Ces événements épouvantables sembleraient être une raison suffisante pour que tout musulman (ou arabe chrétien d’ailleurs) ressente une très grande colère contre ce qu’a fait l’« Occident » et la justification d’une volonté de riposter d’un très petit nombre. Avec en toile de fond l’étendue des dommages causés aux pays musulmans, le saisissement causé par les « attaques terroristes » (les guerres qui prennent la vie de millions de personnes ne rentrent pas dans cette catégorie) devrait probablement être qu’il n’y en a pas eu davantage.

Nous devons dire précisément qui est responsable de ces crimes. L’OTAN n’a pas détruit la Libye: les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France l’ont fait avec l’aide marginale d’autres acteurs. Ces trois pays ont été au centre de toutes les catastrophes qui ont submergé le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord depuis l’invasion française de l’Algérie en 1830.

Il y a beaucoup de gens en Occident qui ne sont pas musulmans ni même chrétiens, mais athées ou agnostiques, ou de conviction humaniste, qui sont tout aussi sensibles que les personnes de religion aux violations flagrantes du droit international et des droits de l’homme que sont les attaques « occidentales » contre des pays majoritairement musulmans. Néanmoins, ce sont les musulmans qui doivent supporter les conséquences de ces attaques, qui doivent assister à la destruction de leur pays et à l’oblitération de millions de leurs compatriotes ou coreligionnaires dans la poursuite des intérêts « occidentaux ». Ils savent, d’après leur propre histoire, que ces attaques se poursuivent sans interruption depuis deux siècles.

Au 19ème siècle, du Caucase aux frontières lointaines de l’Afrique du Nord, l’islam (« fanatisme mahométan ») et non les invasions et l’occupation des terres musulmanes par les armées européennes était identifié comme le principal moteur de la haine de l’Europe ou de « l’Occident chrétien ». C’était un mensonge intéressé et maintenant nous voyons une répétition de la même déconnexion délibérée entre cause et effet, le refus obstiné de voir ce qui devrait être évident aux yeux de tous.

La recherche de la responsabilité ultime pour les attentats terroristes a été dirigée dans la direction des communautés musulmanes, contournant les conséquences contre-productives des politiques des gouvernements « occidentaux ». Ce sont les musulmans que l’on doit empêcher de recourir à l’extrémisme violent, pas les gouvernements; Les musulmans qui sont soupçonnés, pas les politiques gouvernementales fondées sur le mensonge, la propagande et l’illégalité flagrante; Et les musulmans qui sont confrontés à l’islamophobie alors que le gouvernement attise les inquiétudes du public à l’égard de leur communauté.

Ils ont raison d’avoir du ressentiment. Les musulmans n’ont pas seulement à l’esprit les événements actuels, mais deux siècles d’agression « occidentale » constante, ce qui leur permet de conclure que l’« Occident » ne change pas parce qu’il ne veut pas changer, car moins d’agression et plus de moralité à l’étranger entraveront la poursuite des bénéfices et du pouvoir et parce que le prix qu’il a dû payer pour ses guerres n’est pas encore assez élevé pour l’obliger à changer, malgré le 11 septembre, le Bataclan, Nice, Manchester et toutes les autres horreurs que nous avons vues récemment.

En amont, des mises en garde rebondissent sur sa peau dure comme des cailloux de la paroi d’un char. Il n’écoute pas parce qu’il ne veut pas écouter des arguments qui font obstacle à ses politiques, aussi logiques, humains et fondés sur le droit international soient-ils. Quand il subit les conséquences de son refus d’écouter, mineures par rapport aux dommages qu’il a causés ailleurs, il écarte ou nie la responsabilité, exprimant de l’indignation envers ceux qui font une suggestion si scandaleuse. Dans une impasse, parce que la loi ne fonctionne pas au niveau local ou international, et permet à ces gouvernements de s’en tirer impunément malgré le meurtre de masse, que sont censés faire les musulmans ?

 

Ils protestent, ils font pression sur leurs députés locaux, ils écrivent des lettres au rédacteur et demandent à leurs concitoyens musulmans d’être plus actifs dans le soutien à leurs coreligionnaires bombardés et persécutés à l’étranger, au risque, en ces temps de surveillance accrue, d’attirer l’attention de la sécurité de l’État. Presque aucun d’entre eux ne recourra à la violence pour répondre à la violence dont ils sont les témoins obligés. Comme presque tout le monde partout, ils abhorrent la violence : ils ne le veulent pas pour eux-mêmes, pour leurs familles ou pour d’autres personnes, pour le pays dans lequel ils vivent ou leur pays d’origine.

Certains, un très petit nombre, vont franchir le pas et se rendre à l’étranger pour se battre avec le groupe de leur choix ou riposter contre, de leur point de vue, l’ennemi chez eux, tuant et blessant des personnes innocentes de tout crime tout comme les foules qui ont été tuées dans les guerres de l’« Occident » aux pays à majorité musulmane ou qui sont mortes en conséquence directe de ces dernières. Ces groupes justifient leur meurtre tout comme les gouvernements « occidentaux » justifient les leurs. La ligne de démarcation morale entre eux est quasiment indiscernable, malgré la haine qu’ils professent se vouer.

L’un agit au nom de l’islam, alors que le meurtre de personnes innocentes, le meurtre de chrétiens, simplement parce qu’ils sont chrétiens et la destruction de leurs églises, ne sont pas seulement incompatibles avec l’islam, mais une violation de ses principes fondamentaux, et en font des renégats à l’égard de leur propre foi. Le massacre de civils par l’autre camp dans des guerres agressives constitue tout autant une violation des principes et des « valeurs partagées » que les gouvernements « occidentaux »disent défendre.

Si l’« Occident » avait, ne serait-ce qu’une fois, traduit en justice l’un des responsables de ces crimes, disons, bien évidemment, Tony Blair, les musulmans pourraient au moins estimer qu’un tant soit peu de justice avait été rendue. Mais l’« Occident » protège les siens quel que soit leurs crimes. Ni les politiciens qui font la guerre en violation du droit international, ni les soldats en tant qu’individus et les aviateurs responsables des atrocités, ne sont punis pour ce qu’ils ont fait.

Il y a très peu d’exceptions. Il y a la loi, mais personne pour la faire respecter et arrêter le contrevenant, de sorte que s’il n’y en avait pas ce serait pareil. Il existe une institution mondiale, l’ONU, sans le pouvoir de faire appliquer la loi. Il n’y a pas de policiers en service et comme une bande de voleurs de bijoux, collectivement l’« Occident », ayant impunément commis de nombreux crimes, ne voit aucune raison de s’arrêter.

Si la violation sans retenue du droit international est une question centrale du débat sur qui est finalement responsable du chaos dans lequel a été précipitée une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, et qui revient maintenant comme un boomerang en Grande Bretagne et en Europe, les valeurs « partagées » ou « fondamentales » que les gouvernements « occidentaux » sont censées représenter en est une autre. Ces valeurs sont à la base des programmes de « déradicalisation » et de « réhabilitation » mis en place en Grande-Bretagne et dans d’autres pays, ciblant spécifiquement les musulmans. Ceux qui sont en danger doivent être amenés à les comprendre et à les accepter. Partout où elles sont inscrites en « Occident », elles reviennent à la même chose: respect de l’état de droit et respect des droits de l’homme.


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yogaesoteric


19 septembre 2017

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