Le terrorisme comme outil de l’Etat profond – la politique intérieure (2)

par Franck Pengam

Lisez la première partie de cet article

Omar Ismaïl Mostefaï a été condamné à huit reprises entre 2004 et 2010 pour des faits de petite délinquance, mais n’a jamais été incarcéré. En 2010, il est signalé pour sa radicalisation et fait l’objet d’une fiche « S » (renouvelée le 12 octobre 2015) depuis qu’il a été repéré en compagnie d’Abdelilah Ziyad, un terroriste marocain avéré, vétéran du jihad et condamné à huit ans de prison en France pour sa participation à l’attentat de 1994 à l’hôtel Asni à Marrakech. Mais les services de renseignement français savaient dès 2009 que Mostefaï s’était radicalisé à Chartres, dans le groupe dirigé par Abdelilah Ziyad. L’Algérie a notamment soupçonné ce dernier d’avoir été assisté ou manipulé par des services secrets dès la fin des années 1980.

 

Les services secrets turcs (MIT) repèrent Omar Ismail Mostefaï le 6 septembre 2013 sur le territoire turc. La Turquie a prévenu la France à deux reprises, en décembre 2014 et en juin 2015, au sujet des agissements suspects de Mostefaï. Mais la France attendra les attentats du 13 novembre 2015 pour répondre à travers une demande d’informations sur le terroriste en question. Ce dernier serait entré en 2013 en Turquie par la Bulgarie. Il aurait ensuite transité par la Turquie pour se rendre en Syrie. Les autorités turques se seraient d’autant plus inquiétées de ses intentions que sa sortie du territoire turc en direction de la France n’a jamais été enregistrée. Mostefaï resurgit dans les radars de la DGSI en avril 2014, à l’occasion d’une réunion du groupe radical d’Abdelilah Ziyad à Chartres, mais elle ne le place pas sous surveillance. Les services secrets algériens (DRS) avaient découvert depuis fin 2014 qu’il était membre d’une cellule de recrutement de jihadistes pour la Syrie, au nom de laquelle il aurait été chargé de transporter des messages, de l’argent et des faux documents.

De plus, le DRS avait prévenu ses homologues de la DGSE française en octobre 2015 d’un fort risque d’attentats terroristes dans la région parisienne au niveau des « centres abritant des grands rassemblements de foules » et à propos de forts soupçons sur Omar Ismaïl Mostefaï. La DGSI avait placé la bande d’Abdelilah Ziyad sous une surveillance serrée à Chartres d’abord en 2009 et 2010 et ensuite entre 2014 et septembre 2015, sans inclure Mostefaï. Les services ont fini par perdre sa trace jusqu’au 13 novembre 2015, au Bataclan.

Samy Amimour a été mis en examen par la DCRI (ancienne DGSI), les services de renseignement intérieur français, le 19 octobre 2012 pour association de malfaiteurs terroristes en lien avec un projet avorté de départ vers le Yémen. Il a alors été placé sous contrôle judiciaire et doit se présenter toutes les semaines au commissariat de Drancy. En septembre 2013, il viole son contrôle judiciaire pour se rendre en Turquie. Les services secrets turcs le repèreront dès le 6 septembre de la même année en compagnie d’Ismaël Omar Mostefaï et de Samir Bouabout (avec qui il avait préparé un départ pour le jihad raté en 2012). Il franchit la frontière pour aller en Syrie et rejoint les rangs de l’État Islamique. Ce n’est que le 29 octobre 2013 qu’un mandat d’arrêt international (renouvelé le 20 octobre 2015) est émis contre lui, après avoir violé son contrôle judiciaire presque 2 mois auparavant. Il devait être jugé en janvier 2016 à Paris.

Bilal Hadfi faisait des études pour devenir électricien à l’Institut Anneessens-Funck en Belgique. Sa radicalisation a été perçue de manière progressive par le personnel de l’institut et remonterait au printemps 2014. Le 15 février 2015, il part subitement pour la Syrie, prétextant un voyage au Maroc. C’est le 27 avril 2015 que le directeur de l’institut a informé du probable départ de l’élève en Syrie à l’administration de l’enseignement bruxelloise qui devait transmettre l’information à la cellule de radicalisation de la ville. Les tentatives de la direction de prévenir les autorités seraient « restées bloquées au niveau de l’administration », soit totalement niées.

En effet, il figurait déjà sur les fichiers belges de l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace (OCAM), qui est un organe fédéral coordonnant les informations des services de renseignement militaire et civil belges (SGRS et Sûreté de l’État), tout comme ses coreligionnaires Salah et Brahim Abdeslam. Bilal Hadfi s’est fait également « radié par le collège », l’organe exécutif et politique de la commune de Bruxelles, dès mars 2015, ce qui lui a interdit de résider sur le territoire de la commune. Aussi, le 8 mars 2015, l’appartement familial bruxellois du concerné est perquisitionné avec une intervention de la brigade antiterroriste.

Selon deux agents du renseignement européen (probablement du EU INTCEN) interrogés par le Washington Post, Bilal Hadfi avait aussi été repéré par des services pour un retour de voyage du Moyen-Orient vers la Belgique. Il a ensuite disparu des radars des services de sécurité belges. Comble de l’histoire : le directeur de l’Institut Anneessens-Funck a été suspendu provisoirement pour avoir réagi trop tardivement à la radicalisation de son élève… alors qu’il était déjà connu pour cela des services compétents.

Chakib Akrouh est parti de Bruxelles début 2013 en Syrie rejoindre l’EI, en compagnie de six ou sept autres personnes, et s’était ainsi fait remarquer auprès des services antiterroristes belges. Il était fiché sur la liste des « jeunes radicalisés » de Belgique établie par les services de renseignement et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis le 28 mai 2014 selon le journal Le Soir. Il a été condamné en juillet 2015 par défaut à cinq ans d’emprisonnement lors du procès en Belgique d’une importante filière syrienne, qui avait vu Abdelhamid Abaaoud écoper lui aussi en son absence, d’une peine de 20 ans.

Selon une note datant d’avril 2012, un service de renseignement belge (Sûreté de l’État) savait qu’une cellule terroriste prévoyait des attaques de grande ampleur en Europe. Cette note évoque des évènements suspects d’un appartement à Molenbeek-Saint-Jean mis sur écoute. La résidence appartenait à Gelel Altar, un belge d’origine marocaine arrêté près de Casablanca le 15 janvier 2016 et suspecté d’avoir entretenu des liens avec les principaux auteurs des attentats de Paris (Abaaoud et Akrouh). La Sûreté de l’État a également relevé des évocations explicites d’attentats d’après des conversations entretenues par les différents suspects : ces informations ont été transmises au parquet fédéral indiquant que certains extrémistes (aujourd’hui liés aux attentats du 13 novembre 2015) cherchaient à se procurer des armes et des explosifs. Khalid Zerkani, qui a été condamné cet été 2015 à douze ans de prison pour avoir recruté des jeunes pour aller combattre en Syrie, était également présent à ces réunions de 2012 avec son bras droit Gelel Attar. Malgré ces informations, personne n’a empêché les allers-retours entre la Syrie et la Belgique de tous ces braves gens (les jeunes du réseau Zerkani) parfois armés, selon le quotidien flamand Het Laatste Nieuws.

 

Foued Mohamed-Aggad commence à se rapprocher de l’islam en 2012. Il part pour la Syrie en décembre 2013, accompagné de son frère aîné Karim et d’un groupe de huit amis. Leur voyage s’effectue sous couvert d’ une mission humanitaire. Ils sont en contact avec Mourad Farès, un français soupçonné d’avoir fait passer de nombreux candidats au jihad en Syrie, arrêté à la mi-août en Turquie et mis en examen jeudi 11 septembre 2014 par un juge antiterroriste parisien. Foued Mohamed-Aggad rejoindra l’EI. Depuis il faisait l’objet d’une fiche « S » pour radicalisation ainsi que d’une notice bleue d’Interpol (utilisée pour recueillir des informations complémentaires sur des individus concernant leur identité, leur lieu de séjour ou leurs activités illicites dans le cadre d’une enquête). Il a, malgré tout, pu passer toutes les frontières d’Europe jusqu’en France le 13 novembre 2015.

Pour conclure sur ces attentats, rappelons qu’ une liste de tous les jihadistes français opérant en Syrie a été proposée en 2014 par les services secrets syriens à Bernard Squarcini, l’ancien n°1 de la DCRI. Il a transféré cette proposition à l’ancien ministre de l’Intérieur Manuel Valls, qui a refusé de collaborer avec les services syriens pour des raisons probablement personnelles et idéologiques selon Squarcini.

D’après un document révélé par Paris Match, la justice savait que la salle du Bataclan était une cible désignée pour une attaque terroriste depuis début 2009. Aucune alerte, protection ou surveillance spéciale n’a été mise en place alors que le belge Farouk Ben Abbes a également été interpellé pour un projet d’attentat contre le Bataclan en 2010. Ce dernier a pourtant été en contact avec Fabien Clain, qui a revendiqué les dernières attaques de Paris au nom de l’EI et qui a été le mentor de Mohammed Merah dont nous parlons plus tard.

Jesse Hugues, le chanteur du groupe Eagles of Death Metal qui jouait au Bataclan le soir des attentats affirme que « six membres de la sécurité ne s’étaient en fait jamais présentés » et « ils avaient clairement une bonne raison de ne pas se montrer ». Une complicité ou une faille que l’enquête n’a pas encore traitée. L’actuel directeur de la CIA John Brennan a également rappelé dans une interview à la CBS que la CIA aurait été au courant de la planification des attentats terroristes survenus en novembre 2015 à Paris, quelques jours avant qu’ils surviennent, selon la radio La voix de la République islamique d’Iran (15-02-2016).

Attentats à Paris, du 7 au 11 Janvier 2015 :

Chérif et Saïd Kouachi se radicalisent au début des années 2000 en fréquentant la filière dite des « Buttes-Chaumont » (branche irakienne modérée d’Al-Qaïda, devenue aujourd’hui l’État Islamique) qui envoie des zislamistes vers l’Irak depuis la capitale française. Après avoir rencontré Djamel Beghal en 2005 en prison à Fleury-Mérogis, la fratrie Kouachi s’est rendue à plusieurs reprises chez lui tandis qu’il était assigné à résidence entre janvier et mai 2010. Djamel Beghal, qui venait de purger dix ans de prison pour un projet d’attentat contre l’ambassade des États-Unis en France, est placé sur écoute par la DCRI et également ciblé par une enquête de la Direction Centrale de la Police Judiciaire.

En janvier 2005, Chérif Kouachi, déjà connu des services de lutte antiterroriste, est appréhendé alors qu’il s’apprête à prendre l’avion pour Damas (Syrie) dans le but de se rendre en Irak. Il apparaît également en 2005 dans l’émission Pièces à conviction sur France 3 sur le thème des jeunes jihadistes. Entre 2011 et 2013, les notes de la DCRI font état d’un rapprochement entre les frères Kouachi et Peter Cherif. Ce dernier a lui aussi été mis en examen avec Chérif Kouachi dans le dossier des « Buttes-Chaumont » pour être parti combattre en Irak au début des années 2000. Il a été arrêté fin 2004 à Falloujah en Irak lors d’une opération militaire étasunienne et détenu dans différents camps, dont celui d’Abou Ghraïb. Il avait été condamné en juillet 2006 à Bagdad à 15 ans de prison. Transféré dans la prison de Badouche, il s’était évadé en mars 2007 à la faveur d’une attaque de combattants rebelles. En février 2008, ce haut cadre modéré d’Al-Qaïda dans la Péninsule Arabe (AQPA) avait fini par se rendre aux autorités françaises et a été condamné en mars 2011 à 5 ans de prison par le tribunal correctionnel de Paris pour sa participation à la filière des « Butte-Chaumont ».

Chérif Kouachi a quant à lui été interpellé avant de prendre l’avion pour l’Irak. Il sera condamné à 3 ans de prison en 2008 pour cette affaire dont 18 mois avec sursis. En mai 2010, les enquêteurs de la Sous-Direction Anti-Terroriste avaient perquisitionné son domicile et celui d’Amedy Coulibaly dans le cadre de l’enquête sur la tentative d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem (l’un des principaux auteurs de la vague d’attentats commis en France en 1995 dans le RER parisien et ancien membre du GIA), une opération pilotée par Djamel Beghal. Les enquêteurs ont trouvé des photos pédopornographiques dans les disques durs des ordinateurs de Chérif Kouachi et d’Amedy Coulibaly. La justice décide de libérer Chérif Kouachi en attendant son procès, mais lui impose un contrôle judiciaire d’octobre 2010 à avril 2013 : interdiction de sortie du territoire, confiscation du passeport et obligation de pointer toutes les semaines au commissariat de Gennevilliers. Malgré tout, quelques mois plus tard, il part au Yémen s’entraîner dans un camp modéré d’Al-Qaïda, dans la plus parfaite impunité.

En novembre 2011, les services étasuniens transmettent à leurs homologues français de la DCRI (devenue depuis DGSI) une information attestant que Saïd Kouachi s’est également sûrement rendu au Yémen, entre les 25 juillet et 15 août 2011, en compagnie d’une seconde personne. En février 2014, les services français pensent qu’il a fait un autre voyage à Oman. De ces suspicions, Saïd Kouachi deviendra l’heureux bénéficiaire de quinze mois d’écoutes et de quatre mois de surveillance physique entre 2011 et 2014. Mais la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS) met fin aux écoutes téléphoniques en juin 2014, faute d’éléments probants en lien avec le terrorisme. C’est une proche collaboratrice du Premier ministre Manuel Valls qui est chargée d’autoriser ou d’interdire ces écoutes après avis consultatif de la CNCIS. Étrange conclusion, car d’après une quarantaine de notes de la DGSI obtenue par Le Monde, les services de renseignements se seraient intéressés à la fratrie Kouachi entre 2010 et 2015 en raison de leurs contacts directs avec les dirigeants d’AQPA. Ce n’est pas rien tout de même.

 

Les renseignements français ont arrêté de surveiller Chérif et Saïd Kouachi quelques mois avant l’attentat contre Charlie Hebdo alors qu’ils sont liés à la direction d’AQPA, car selon les conclusions de la DGSI : « aucune surveillance technique ou physique n’a permis de matérialiser la moindre préparation d’une action violente ». Les Kouachi n’étaient donc plus considérés comme une cible prioritaire par les services alors qu’ils l’étaient à un moment antérieur. Saïd et Chérif Kouachi étaient également sur liste noire étasunienne depuis de nombreuses années avant leurs attentats selon un responsable étasunien ; ils étaient inscrits au fichier TIDE ainsi que sur la « No Fly List».

Amedy Coulibaly est un délinquant multirécidiviste. Selon le journal Libération, son casier « témoigne d’un lourd passé de braqueur alors qu’il n’avait même pas 18 ans. En 2001, il avait été condamné à trois ans fermes, dont deux avec sursis, par le tribunal d’Evry puis, la même année, à quatre ans dont deux avec sursis toujours pour des “ vols aggravés ”. En 2002 encore, douze mois dont neuf avec sursis pour vol aggravé et recel. En 2004, le voilà renvoyé devant la cour d’assises des mineurs du Loiret, qui lui inflige six ans de prison pour un vol à main armée dans une agence BNP avec deux complices ». Rappelons que dans le Code pénal français, un seul vol à main armée est un crime puni théoriquement de 20 ans de réclusion criminelle.

Coulibaly, malgré ses multiples braquages, s’en est sorti avec quelques années de détention au total. C’est en 2005, durant son incarcération à la prison de Fleury-Mérogis, qu’il fait la connaissance de Chérif Kouachi, emprisonné pour sa participation à la filière jihadiste des « Buttes-Chaumont » et de Djamel Beghal. « La même année, le tribunal correctionnel de Paris condamne également Coulibaly à trois ans d’emprisonnement pour «vol aggravé, recel et usage de fausses plaques d’immatriculation. En mai 2007, il prend dix-huit mois pour trafic de stupéfiants. » Au printemps 2010, Coulibaly rend visite une fois par mois à Djamel Beghal qui est assigné à résidence à Murat, dans le Cantal. Il arrive que sa femme Hayat Boumedienne et Chérif Kouachi l’accompagnent pour des escapades de deux ou trois jours où ils manient les armes et s’entraînent au tir.

En mai 2010, la Sous-Direction Anti-Terroriste présentait déjà Coulibaly comme un « islamiste rigoriste ». Des écoutes téléphoniques opérées à cette période avaient même montré un homme totalement sous l’emprise idéologique de Djamel Beghal. Coulibaly est arrêté le 18 mai 2010, mis en examen et placé en détention provisoire quatre jours plus tard. Il est en effet soupçonné par les services antiterroristes d’avoir participé à la tentative d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem. 240 munitions (7,62 mm) de kalachnikov seront découvertes à son domicile. Le 20 décembre 2013, il sera condamné à 5 ans de prison pour ces faits. Placé en détention provisoire dès le 23 mai 2010, il a bénéficié d’une remise de peine et a été libéré de prison le 4 mars 2014 en étant placé sous surveillance électronique jusqu’au 15 mai 2014, car il bénéficie d’une remise de peine d’un an.

Lisez la troisième partie de cet article
 
 



yogaesoteric


11 novembre 2019

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