Le vrai visage des libérateurs de Rakka

 

Majoritairement kurdes et gauchistes, les « libérateurs » de Rakka sont étrangers à cette ville, à sa population et à sa culture.



Miliciens majoritairement kurdes, formés par les Etats-Unis pour prendre le contrôle de Rakka, prêtant un serment collectif, le 17 juin 2017.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS) constituent le fer de lance de l’offensive lancée au début de juin contre Rakka, la ville syrienne où Daech a proclamé en avril 2013 son « Etat islamique en Irak et au Levant ». Ces FDS bénéficient d’un soutien multiforme des Etats-Unis en termes d’appui aérien (aviation et hélicoptères de combat), d’armement et de « conseillers », en fait des centaines de forces spéciales américaines déployées à leurs côtés. Le Pentagone a d’emblée annoncé que la bataille pour Rakka serait « longue et difficile ». Mais la principale hypothèque qui pèse sur cette opération découle du caractère profondément étranger à Rakka des FDS.

Des FDS fort peu « démocratiques »

Les FDS, malgré le sigle qu’elles ont habilement choisi, s’avèrent fort peu « démocratiques ». Leur colonne vertébrale était et demeure la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la guérilla séparatiste de Turquie, dont la direction militaire est implantée dans les montagnes du Nord de l’Irak. Tenu d’une main de fer par Cemil Bayik, l’appareil militaire du PKK a intégré sa chaîne de commandement dans un dispositif gigogne qui fait en Syrie des Unités de protection du peuple (YPG) la composante déterminante des FDS.

Les YPG et leur Parti de l’unité démocratique (PYD) ont pu prendre pied en Syrie à partir de l’été 2012, quand Bachar Al-Assad a autorisé le retour de milliers de combattants du PKK. Une forme de cogestion des zones ainsi soustraites à la révolution syrienne a vu le jour, le PKK/PYD mettant en place l’autonomie d’un Rojava (ou Kurdistan occidental), tout en acceptant le maintien discret des différents services liés à Assad. Cette coopération entre le PKK et la dictature syrienne a connu ses moments de crise, mais la contribution des YPG au siège gouvernemental des quartiers contrôlés par l’insurrection dans l’est d’Alep a été déterminante dans leur reconquête par le régime Assad à l’automne 2016.

En avril au Kurdistan d’Irak un responsable du PKK/PYD pour la région d’Afrin, au nord-ouest d’Alep a fièrement remis la version française du « Contrat social » censé régir l’administration du Rojava. De nombreux progressistes occidentaux ont pu voir dans un tel texte l’émergence d’une « troisième voie » entre dictatures et islamistes au Moyen-Orient. Ils ont sans doute lu trop rapidement l’article 15 de cette charte, qui confère le monopole de la défense aux YPG et le monopole de la sécurité intérieure aux Assayich du PKK. Ce terme d’Assayich désigne de manière générique les forces de « sécurité » des différents partis kurdes. Les Assayich sont partout un instrument de répression de la société civile kurde au nom de la milice localement dominante. Le PKK s’est ainsi arrogé les pouvoirs d’étouffer par les YPG et ses Assayich toute voix dissidente dans le « Rojava » sous son contrôle en Syrie.

Des FDS plutôt kurdes que « syriennes »

Les FDS, à mesure de leur progression territoriale hors des zones majoritairement kurdes de Syrie, ont dû chercher à élargir leur assise à des milices arabes, que les Etats-Unis encourageaient à un tel ralliement par un soutien inédit. Mais la structure de commandement n’a jamais échappé au PKK, dont l’organisation pyramidale n’a pas peu séduit les différents états-majors, las de la confusion milicienne prévalant en Syrie. Washington a bravé les foudres d’Ankara à ce sujet et a même toléré les relations persistantes entre les forces russes et les YPG/FDS dans la région d’Afrin.

C’est le « colonel » auto-proclamé Talal Sello qui assure avec brio la communication des FDS. Derrière une façade policée, les reporters plus chevronnés entendent les combattantes se surnommer « Rosa Luxembourg » ou « Clara Zetkin ». Cette identification à des icônes allemandes du siècle dernier peut prêter à nostalgie chez certains, elle n’en révèle pas moins un décalage cruel avec la réalité humaine de Rakka et de sa région, profondément marquée par le conservatisme social. Et même si le PKK/PYD prétend avec aplomb représenter tous les Kurdes, cette assertion a été démentie depuis Rakka même par Nissan Ibrahim, une militante d’origine kurde, dont Daech a annoncé la décapitation en janvier 2016, et à laquelle Hala Kodmani vient de consacrer un formidable livre témoignage.

Pour les combattants kurdes, qui constituent selon le Spiegel 90 % des forces engagées à Rakka, il est exclu de ne pas tirer tous les fruits de leur future victoire. Les précédents de Tall Abyad et de Manbij, reprises par les YPG/FDS à Daech respectivement en juillet 2015 et en août 2016, sont accablants : le PKK/PYD a établi en quelques semaines une domination méthodique sur les villes « libérées », n’hésitant pas à marginaliser, puis à pourchasser les forces arabes qui l’avaient assisté dans ces batailles. Les malheureux civils de Raqqa, déjà coincés entre la tyrannie de Daech et les bombardements de la coalition, sont ainsi menacés de tomber sous la coupe de « libérateurs » fondamentalement étrangers à la ville. Un tel scénario ne pourrait évidemment que faciliter la reconstitution de poches djihadistes au sud de Rakka, et le long de la vallée de l’Euphrate.

 

yogaesoteric
6 septembre 2017

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